Dans la série « Le tour de France des assesseurs » du Monde1, cette photo d’Élodie Ratsimbazafy m’a particulièrement frappé. Depuis ma plus tendre enfance, l’appartenance à la patrie française est symbolisée par l’acte de vote, incarné par cette chaine d’assesseurs vous menant jusqu’à l’urne, vous accompagnant dans l’expression de votre droit — et devoir — de citoyen. Rien de tel ici : la chaine est cassée, dominée physiquement et symboliquement par la « machine à voter ».
La République française est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »2 : par nature, le vote électronique va à l’encontre de la Constitution. On pourrait bien sûr discuter des problèmes techniques qu’il soulève, mais cette discussion est vaine3. L’urne et les bulletins de papier ne sont pas parfaits, et ces machines finiront par devenir fiables, à défaut d’être sécurisées. Plus simplement et plus fondamentalement, le vote électronique est l’irruption physique et psychologique d’une entreprise capitaliste dans un processus public et citoyen.
Le vote électronique, c’est la destruction d’un moment civique, d’une mise en scène du processus démocratique, d’un des rares moments où la construction politique est incarnée par l’ensemble du peuple, acteur de la désignation de son représentant suprême. C’est la mort assurée de l’idée démocratique par l’abolition de sa corporalité, de sa représentation physique, celle du corpus de citoyens qui organise les élections.
Je ne suis pas un nostalgique de l’objet-livre, je ne suis pas un résistant à la dématérialisation, mais il y a parfois des symboles dont la permanence est la condition sine qua non de la préservation de notre société. Après les instituteurs, les policiers, bientôt les assesseurs ? Leur disparition, annoncée par l’amplification du vote par internet, signerait tout simplement la fin d’une certaine idée de la République française.
« Le tour de France des assesseurs », Le Monde, 06 mai 2012. ↩︎
Article 2 de la Constitution de la Cinquième République française. ↩︎
Le rapport interne de Chantal Enguehard de l’Université de Nantes résume néanmoins parfaitement la situation. ↩︎