À en croire la rumeur, j’habiterais dans un quartier « difficile ». Un quartier dont le nom provoque des murmures inquiets. Un quartier que l’on ne traverserait qu’en rasant les murs. Dans les faits, j’habite dans un quartier calme. Un quartier dont les enfants dessinent le nom à la craie sous le porche de l’école. Un quartier que l’on traverse en se faufilant entre les clients du café.

Je les vois souvent sourire, mais je les sens parfois désabusés. Peut-être même sont-ils en colère. Comment leur en vouloir ? François-Noël Buffet se rêve en président de la métropole tout à la fois spécialiste d’urbanisme1 et d’immigration2, alors qu’il est le maire qui a consacré l’abandon d’un quartier dont nombre d’habitants viennent d’ailleurs. Comme s’ils valaient moins que ceux du centre-ville refait à neuf, sauf lorsqu’il s’agit de les imposer.

Je me laisse parfois aller à la même morosité, lorsque je parcours ces trois rues s’étendant de la boulangerie à la zone d’activité en passant par la mosquée, coincées entre l’autoroute A7 et le mur qui entourait les ateliers SNCF. Le magazine municipal n’a pas été déposé dans les boîtes aux lettres depuis des mois, le bureau de Pôle emploi va tirer rideau comme de nombreux commerces avant lui, les décorations de Noël ont été posées mais les trottoirs n’ont pas été nettoyés.

Alors je m’étrangle quand un président socialiste n’évoque pas une seule fois l’éducation, la politique de la ville et la laïcité lorsqu’il vante les valeurs de la France face à un terrorisme formé dans les quartiers vraiment difficiles des banlieues parisiennes et bruxelloises3. Bien sûr qu’il nous faut aujourd’hui parer au plus urgent — mais il va nous falloir, dès demain, nous interroger sur les origines de ce mal que sont le fanatisme et la radicalisation violente.

Si le terrorisme est une maladie, alors c’est une maladie auto-immune : c’est une partie de notre corps national qui se retourne contre nous parce que nous l’avons trop longtemps maltraité. Nous ne pouvons plus nous étonner de récolter ce que les cultivateurs de haine ont semé dans notre terreau putride. Il nous faut plus de liberté, plus d’égalité, et surtout plus de fraternité, pas plus de sécurité ni plus d’exclusion.

Bien sûr qu’il faut combattre avec fermeté les terroristes islamistes — à condition de ne pas stigmatiser l’immense majorité des Français musulmans, qui ne veulent rien d’autre que vivre en paix aux côtés de leurs concitoyens. Bien sûr qu’il faut punir les imams radicaux — à condition de faire de même avec les rabbins fondamentalistes et les curés intégristes, afin de montrer qu’aucune forme d’obscurantisme n’est tolérée dans notre société progressiste.

Mais il nous faut aussi encourager le combat contre l’« illettrisme religieux » que mènent des imams comme Mahmoud Doua, sans jamais trahir notre conception de la laïcité. Il nous faut aussi expliquer que si les racines de la France sont judéo-chrétiennes, elles ont été renforcées par un engrais musulman, comme le rappelle à juste titre l’imam Tareq Oubrou4. Il nous faut aussi rappeler que les descendants de « nos »5 ancêtres gaulois doivent leur vie au concours des populations immigrées et colonisées, parfois enrôlées de force6.

Parce que mes voisins, vos voisins, ne sont pas seulement des immigrés ou fils d’immigrés de culture islamique. Ce sont aussi, ce sont surtout, des Français. Panser nos plaies, c’est aussi refermer la blessure béante que nous nous sommes infligée et qui commence à s’infecter. Célébrer la grandeur de la France, c’est aussi reconnaître la formidable contribution d’une partie de sa population injustement ignorée et qui a tant à nous apporter.

Les terroristes veulent abattre la France ? Nous devons faire plus de France !


  1. Il est premier vice-président du Syndicat mixte d’études et de programmation de l’agglomération lyonnaise, après avoir présidé UrbaLyon et avoir été en charge de l’urbanisme et de l’aménagement du Grand Lyon. ↩︎

  2. Il est secrétaire national à l’immigration du parti Les Républicains↩︎

  3. Non, vraiment, pas une seule fois. Voir la retranscription du discours de François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015↩︎

  4. Voir Tareq Oubrou (propos recueillis par Pierre De Boishue), « Tout le Coran n’est pas à reproduire », Le Figaro, 13 novembre 2015. ↩︎

  5. Oui, « nos ». Mes ancêtres « génétiques » ne l’étaient pas — ils étaient plutôt suèves et wisigoths — mais mes ancêtres « historiques » le sont, miracle de la citoyenneté. ↩︎

  6. Voir notamment l’histoire des tirailleurs algériens↩︎