Avec les applications et les outils interactifs — bornes, tablettes ou balises iBeacon, les dispositifs mobiles se développent dans les musées pour répondre à leur besoin de captation des publics. Les innovations se poursuivent et depuis quelques années, les robots font leur apparition dans les salles d’exposition. À la Tate, ils sillonnent le musée de nuit ; à Oiron, Norio détonne dans un château du XVIe siècle. Plus récemment, les premiers du robot de téléprésence BeamPro au musée Rolin d’Autun ont été très concluants. D’où provient cet intérêt pour les robots ? Entretien avec Anne Pasquet, animatrice du patrimoine et de l’architecture et chargée du développement des projets numériques à Autun.

Un projet numérique global

La région s’inscrit depuis 2010 dans le projet de territoire « Galerie numérique du Morvan » porté par le parc naturel. Le projet réunit dix musées de la région, dont le musée Rolin à Autun, et vise à développer le réseau des musées de la région et à valoriser le patrimoine par l’intermédiaire du numérique.

La ville d’Autun a déjà mis en place deux dispositifs numériques d’interprétation du patrimoine : un « feuilletoire numérique » pour découvrir un pontifical inconnu du XIIe siècle, et un film en 3D sur le tympan de la cathédrale. « On essaye de pousser des concepts déjà existants jusqu’à leurs limites », explique Anne Pasquet.

Les dispositifs sont conçus de manière à laisser le public découvrir l’œuvre et prendre contact avec elle de façon autonome, puis « l’interaction est délaissée pour emmener le spectateur vers ce que [l’œuvre] dit d’elle-même et de son époque ». Une formule gagnante puisqu’une fois l’exposition temporaire sur le pontifical d’Autun terminée, « on a eu un tel retour qu’on a laissé [le feuilletoire en place] pendant un an et demi ».

Un robot au musée : répondre aux usages des publics

Le troisième dispositif découle des expériences de visites en vidéoconférences pour les élèves des collèges et lycées voisins, très éloignés de la ville. « Mais la vidéoconférence est lourde à mettre en œuvre », déplore l’animatrice : elle casse la dimension spatiale de la visite, la mobilité dans le musée et autour des œuvres. La solution ? Le recours à un robot de téléprésence : « en utilisant un robot que les enseignants et les élèves peuvent manipuler à distance, on recrée un couple sur place avec le guide-conférencier. »

De fait, les trois temps de la visite sont conservés, grâce à l’alliance d’une plateforme web ex situ et du robot in situ :

Le robot — un modèle BeamPro de la société française Awabot, qui est aussi intervenue au musée des Confluences — offre un champ de vision à 105° grâce à ses deux caméras grand-angle fixées à 1,50 m du sol. La qualité de la vidéo laisse à désirer, mais on peut contrôler le cadre et le zoom. Sans pouvoir tout à fait remplacer une visite physique, il offre donc une plus grande autonomie et une meilleure mobilité qu’une solution de vidéoconférence traditionnelle.

De premiers tests sont prévus au mois de juin 2015, pour une mise en service en septembre à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Pour le moment, la ville ne dispose que d’un seul robot, mais une diffusion dans le Muséum d’histoire naturelle et d’autres sites patrimoniaux comme la cathédrale est envisagée à long terme. Anne Pasquet souhaite aussi étendre la zone de déplacement du robot à l’extérieur : « c’est faisable avec les connexions en 4 G. Mais il faut d’abord améliorer le robot : sur un sol stable en intérieur ça va, mais sur un sol instable, en extérieur, on n’en est pas sûr. Il faut le tester pour qu’il puisse évoluer dans la cathédrale, mais aussi peut-être à proximité d’un site archéologique. »

Le robot, l’accessibilité et la médiation

Aussi imparfait soit-il, le robot représente toutefois une avancée pour les publics dits « empêchés ». C’est aussi une solution d’accessibilité et de développement du patrimoine — une solution plus légère, moins couteuse et moins contraignante que la pose d’un ascenseur après l’intervention d’un architecte des Bâtiments de France. Ainsi au musée d’Oiron, un visiteur en fauteuil roulant peut accéder aux étages par l’entremise du robot Norio, qu’il pilote en toute autonomie depuis le rez-de-chaussée. La transmission audio et vidéo permet d’interpeler un guide, mais aussi de converser avec ses proches ou d’autres visiteurs.

Utile et ludique, le robot devient-il une raison de visiter le musée, comme les androïdes d’Hiroshi Ishiguro à Tokyo ? « La technologie est une interface, un outil », assure Anne Pasquet : « la médiation humaine est irremplaçable. Le robot n’a de place qu’en présence d’un médiateur. Sans médiateur, autant se contenter d’un site web avec de jolies images. Sans médiateur, l’aspect ludique prendrait le pas sur l’aspect utilitaire… et on oublierait que l’objectif, c’est d’aller découvrir une œuvre. »

À Autun donc, le robot intègre les dispositifs de médiation sans pour autant remplacer le médiateur : la technologie développe l’échange dans les processus de médiation. « Le robot de téléprésence permet d’aller plus loin » que les applications mobiles, il permet « de faire revenir les visiteurs devant une œuvre originale » dans son contexte — et ce contexte inclut le guide-conférencier « systématiquement présent pour tenir le discours de contenu. »

Quand bien même le robot ne serait qu’une curiosité technique qu’il participerait tout de même au rayonnement de l’institution, de la ville et de son patrimoine. Le voilà, le premier intérêt : mettre en œuvre de nouvelles conditions d’accès au patrimoine culturel, pour ramener le non-public au musée.