Pour poursuivre sur ma lancée, j’ai continué à lire en français cette année. En français, mais aussi sur le français, ce qui m’aura permis d’apprendre de nouveaux mots. Je me suis aussi permis de tendre l’oreille, pour attraper quelques néologismes au vol, preuve que le français est bien une langue vivante.
Pot-au-feu. Comme synonyme de « pantouflard » ou « casanier », dans un sens qui me semble toutefois moins passif, à la manière de « popote ». Découvert dès le 1er janvier dans la traduction merveilleusement datée de Manhattan Transfer par Maurice-Edgar Poindreau. Le Trésor de la langue française ajoute une définition « rare », « terre à terre, qui manque d’élévation spirituelle, de raffinement. » « L’ennui profond que m’inspirent les conversations purement pot-au-feu », dit ainsi le philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel dans son Journal intime, qui aurait peut-être dû essayer les conversations autour d’un pot-au-feu.
Pongé. Quelques pages plus loin, un mot que j’avais oublié, pour désigner un tissu léger et souple composé de bourre de soie et de laine.
Permanemment. « Yoyette » (jeune et jolie fille), « ambiancer » (mettre de l’animation), « tchiper » (protester en suçant ses dents1), « s’enjailler » (passer du bon temps), « bureau » (relation adultère, dont pourrait naitre une « balle perdue »)… Pendant que les barbons du quai de Conti rejouent avec trente ans de retard, et toujours sans compter le moindre linguiste parmi leurs rangs, la querelle de la (re)féminisation des professions, les francophones d’Afrique font vivre leur langue. Ainsi, le « permanemment » prononcé par mon confrère guinéen Chérif Hammady Bah, au détour d’une conversation le 7 janvier, m’a délicieusement surpris.
Adunation. Une manière fort précieuse de dire « réunion », du latin adunatio, que j’avais raté avant le 4 février et ma première lecture exhaustive du recueil Historien à l’âge numérique de Philippe Rygiel.
Licou. Littéralement un « lie-cou », le harnais que l’on passe autour de la tête des chevaux et des bêtes de somme pour les mener, que j’ai toujours appelé « longe ». Au hasard d’un vers des Métamorphoses d’Ovide, dans la magnifique traduction d’Olivier Sers pour la superbe collection du centenaire des Belles Lettres, le 8 février.
Albuplast. Dans Penser/classer, que j’ai relu début juin, Georges Perec classe le quotidien du milieu du siècle dernier pour empêcher sa disparition. La mention du sparadrap Albuplast m’a pourtant rappelé la fin du siècle dernier, lorsque j’étais encore capable de m’accrocher au guidon enrubanné de mon vélo Peugeot pour gravir le Petit-Saint-Bernard depuis Longefoy. Cet été-là, j’avais lu La vie mode d’emploi pour la première fois.
Ksar. Un type de village fortifié, en Afrique du Nord, qui a donné « alcázar » en espagnol. Le 10 juin, toujours dans Penser/classer.
Exciper. Invoquer un fait ou une chose en guise de défense, un mot qui m’a fait refermer le Léviathan de Thomas Hobbes pendant quelques mois, début juillet.
Dipsomane. J’ai toujours été piètre helléniste, contrairement à ma femme, qui m’a appris que dipsa signifiait « soif », et donc que le dipsomane était un alcoolique particulièrement avide. Dans Le livre du roi, qui m’a fait découvrir Arnaldur Indriðason quelques décennies après le reste de la planète, le 6 septembre.
Connaissement. Le lendemain, le même livre m’apprenait un nouveau mot — j’ai pourtant épluché quelques bills of lading pour mes recherches historiques !
Andragogie. Un québécisme chez Alain Rey, qui désigne l’« enseignement qui vise le développement de l’adulte en tenant compte de ses acquis professionnels », selon le dictionnaire québécois Antidote. L’art de la pédagogie appliquée aux adultes, cela va mieux en le disant ainsi, n’est-ce pas ?
Gabariser. « Avoir le gabarit de », si j’ai bien saisi la discussion d’adolescentes brondillantes au français mâtiné d’anglicismes et d’arabismes, mais aussi d’argot gitan (« bicrave », « chourrer », « bouillave », « maraver »). Dans une salle d’attente, le 9 octobre, en lisant L’amour du français de Rey, une coïncidence plutôt jouissive.
Lowton. Un enfant de franc-maçon adopté par une loge maçonnique. Loin des salles de classe de l’EHESS, Gérard Noiriel continue de m’apprendre des choses. Le 5 décembre, en lisant Le venin dans la plume.
Manouvrier.. Un travailleur manuel, l’ancêtre des tâcherons du clic décrits par Antonio Casilli dans En attendant les robots. Un livre décidément patient, puisqu’il a passé toute l’année dans ma pile de bouquins en souffrance, avant que je daigne finalement l’ouvrir début décembre.
Mon père (d’origine guadeloupéenne) tchipait, une habitude dont je me suis débarrassé, sans forcément m’en rendre compte d’ailleurs. Je serais curieux de savoir comment le mot et le geste ont voyagé de l’Afrique aux Caraïbes, ou peut-être des Caraïbes à l’Afrique — ont-ils traversé l’Atlantique par bateau, ou bien par Paris ? ↩︎