« A perfect Martini should be made by filling a glass with gin, then waving it in the general direction of Italy », disait Noël Coward. Luis Buñuel, qui buvait du gin « pour provoquer et entretenir une rêverie », ne dit pas autre chose :
Ma boisson préférée est le dry-martini. Étant donné le rôle primordial que le dry-martini a joué dans cette vie que je raconte, je dois lui consacrer une page ou deux. Comme tous les cocktails, le dry-martini est probablement une invention américaine. Il se compose essentiellement de gin et de quelques gouttes d’un vermouth, de préférence du Noilly-Prat. Les véritables amateurs, qui aiment leur dry-martini très sec, allaient jusqu’à prétendre qu’il fallait simplement laisser un rayon de soleil traverser une bouteille de Noilly-Prat avant d’aller toucher le verre de gin. Un bon dry-martini, disait-on à une certaine époque en Amérique, doit ressembler à la conception de la Vierge Marie. On sait en effet que selon saint Thomas d’Aquin le pouvoir générateur du Saint-Esprit traversa l’hymen de la Vierge « comme un rayon de soleil passe à travers une vitre, sans la briser ». De même pour le Noilly-Prat, disait-on. Mais cela me semble un peu excessif.
Autre recommandation : il faut que la glace utilisée soit très froide, très dure, pour qu’elle ne lâche pas d’eau. Rien n’est pire qu’un martini mouillé.
Qu’on me permette de donner ma recette personnelle, fruit d’une longue expérience, avec laquelle j’obtiens toujours un assez vif succès.
Je mets tout le nécessaire dans le réfrigérateur le jour qui précède la venue de mes invités, les verres, le gin, le shaker. J’ai un thermomètre qui me permet de vérifier que la glace est à une température d’environ vingt degrés au-dessous de zéro.
Le lendemain, quand mes amis sont là, je prends tout ce qu’il me faut. Sur la glace très dure je verse d’abord quelques gouttes de Noilly-Prat et une demi-cuillerée à café d’angustura. J’agite le tout, puis je vide. Je ne garde que la glace, qui porte la trace légère des deux parfums, et sur la glace je verse le gin pur. J’agite encore un peu et je sers. C’est tout, mais il n’y a rien au-delà.1
Buñuel, qui avait aussi « un faible » pour le picon-bière-grenadine, n’avait qu’un tort : il n’aimait pas le whisky. Ce qui ne retire rien au génie de sa recette de martini.
Luis Buñuel, Mon dernier soupir, Paris, Robert Laffont, 2000 (1re éd. : 1982). ↩︎