J’ai ajouté deux cordes à mon arc… en installant deux Arc sur mes ordinateurs.
Le premier Arc est un navigateur web. Au moment où je célébrais son vingtième anniversaire, j’avais déjà abandonné Safari depuis plusieurs mois. The Browser Company a relancé mon intérêt pour les navigateurs, disparu depuis que Mozilla a réduit la voilure et Apple baissé les bras. Arc repose certes sur les bases du projet Chromium, comme tous ces braves navigateurs qui promettent « une meilleure protection contre Google » tout en renforçant sa suprématie sur la plateforme web.
Mais Arc n’a pas besoin de bloquer les publicités, de colorer les onglets ou d’incorporer ChatGPT pour se distinguer du lot. Non, il se contente… de tout changer ! La barre de commandes reprend les fonctions de la barre d’adresse et de recherche, mais permet aussi de convoquer la plupart des fonctionnalités cachées dans les menus et de déclencher les extensions. Les onglets se ferment automatiquement après quelques jours, sauf s’ils sont épinglés, pour rejoindre une archive bien plus pratique que le sempiternel historique.
Comme l’excellent (mais obsolète) OmniWeb, Arc place les onglets sur le côté, puisque nos écrans sont plus larges qu’ils ne sont hauts. Les onglets favoris, disponibles en permanence, chapeautent les autres onglets, spécifiques aux espaces de travail qui sont comme des instances du navigateur à l’intérieur du navigateur. Vous pouvez non seulement changer l’icône et la couleur des espaces, mais même — idée géniale — renommer les onglets.
Que dire encore ? Un onglet peut s’ouvrir dans une fenêtre temporaire s’il vient d’une autre application, à côté d’un autre pour former une split view, ou même à l’intérieur d’un autre pour éviter d’interrompre le fil de la navigation. Les données, mais aussi l’état du navigateur à l’instant t, sont synchronisés entre les ordinateurs et avec la version mobile, qui est moins un navigateur qu’un gestionnaire de liens. Le raccourci ⇧⌘C
permet de copier l’adresse du site actif en supprimant les éventuels paramètres de pistage.
Je pourrais continuer pendant dix paragraphes sans citer les nombreuses fonctions qui me rebutent, comme la télécommande Spotify ou les aperçus en temps réel de Gmail et Notion, conçus pour des gens qui utilisent le web comme un système d’exploitation. Sur ce plan, Arc est le parfait navigateur du startupeur en herbe. Mais il a, je ne sais pas comment le dire autrement, une qualité ? The Browser Company n’a pas le quart du tiers de la moitié des moyens d’OpenAI, mais prouve que les interfaces graphiques n’ont pas dit leur dernier mot.
Le second Arc est un service de streaming personnel. Au moment où je chantais les louanges de l’application Classical, j’avais déjà résilié mon abonnement Apple Music. Qu’il faille concevoir un écrin pour la musique classique, passe encore, même si ce cliché est sérieusement éculé. Mais pourquoi les autres genres ne profiteraient-ils pas des mêmes avancées ? Rien dans les fonctionnalités de navigation transversale, la présentation détaillée des crédits, le moteur de recherche séparant l’œuvre de l’interprète, ou encore les rubriques dédiées à tel ou tel instrument ne devrait être réservé à la seule musique classique.
Je crois que l’on peut mieux faire qu’une version de Microsoft Excel appliquée à la musique — les développeurs de Roon aussi. Roon n’est pas une, mais deux applications, le Roon Server et la Roon Remote. Le serveur catalogue la musique présente sur le disque pour la mettre à la disposition de la télécommande, qui peut la diffuser sur n’importe quel dispositif sonore connecté au réseau. C’est déjà pas mal, mais Roon peut aussi se connecter aux services de streaming Tidal et Qobuz.
La technologie Valence combine les différentes sources pour proposer une navigation « intentionnelle ». Roon Labs a mené un travail titanesque pour corriger les métadonnées fournies par les maisons de disques, détailler précisément les crédits, et ainsi fournir des fonctionnalités de navigation transversale. Outre les informations issues de Wikipédia et AllMusic, la fiche d’un album comporte des liens vers les artistes et compositeurs crédités, le catalogue du label, des listes de lecture liées, et même les nouveautés dans le même genre.
Valence sait distinguer le Trent Reznor qui appartient à Nine Inch Nails du Trent Reznor qui compose des bandes originales, faire la différence entre un enregistrement classique et une interprétation jazzy d’une pièce de Bach, décrire les différentes périodes de la carrière de Clapton et relier le Vieux Farka Touré à Taylor Swift. L’application propose six listes quotidiennes de 25 morceaux inspirées par les écoutes récentes de l’utilisateur et pondérées par la composition de la discothèque de l’ensemble des utilisateurs.
Le problème ? D’abord, tout cela coute très cher, 14,99 $ par mois ou 149,88 $ par an en plus de l’abonnement à Tidal ou Qobuz. Ensuite, la télécommande fonctionne uniquement sur le réseau local. Depuis quelques mois toutefois, Roon Arc permet de se connecter au serveur à distance et de profiter de la richesse de Roon depuis son téléphone. Roon est une sorte de magazine numérique connecté aux services de streaming, Roon Arc est une sorte de service de streaming personnel. Non, à la réflexion, tout cela coute étonnamment peu.
Lentement mais musicalement. Retrouvez la bande-son électro-jazz de « Lentement » sur Qobuz et sur Spotify. Ce mois-ci, j’ai été captivé par un album de… folk gréco-australienne ? Le duo formé par le joueur de laouto Giorgis Xylouris et le batteur Jim White jouent quelque part entre le rock d’avant-garde et le free jazz, à moins que ce ne soit l’inverse, et c’est assez entêtant.
Ici
Est-ce parce que je n’ai pas envie de quitter la Terra Alta ? Est-ce parce que je préfère le Cercas qui ment pour dire la vérité que celui qui dit la vérité pour mentir ? Toujours est-il que je n’arrive décidément pas à terminer Le château de Barbe-bleue. Ce mois aura été fait des lectures contrariées :
Hasard de la programmation, toutes les photos du mois ont deux couches. Le béton du Firminy vert ressemble à du marbre, Philippe et Claire Baudras se cachent derrière la porte de l’atelier de Daniel Cambie et le logo (moche) de Centracome ne recouvre pas complètement l’ancienne enseigne de Charles Antonin.
Ailleurs
Je ne suis pas le seul à me poser des questions sur Apple Music Classical :
This is all to say, I’m in love with Apple Music Classical, and I just keep wondering why the regular app isn’t more like it. While classical music certainly has a need for a vast array of metadata, I like to think most other music does, too. People like to listen to the works of a single producer, and when they search for Stephen Sondheim, they should be able to just see all the musicals he composed as neatly as I can see all the works of Antonín Dvořák in Music Classical.
Je ne veux pas qu’un service de streaming musical, je veux un service pour streamer « ma » musique :
I don’t want your streaming music service, I just want the music I’ve collected and care about available to stream. […] I have the audio files for the music I care about and I’ve spent a long time collecting them. They’re all tagged and named consistently using Meta, shuffled off to an external hard drive, encrypted and mirrored up to B2 and GCP. I just want to listen to them without using all of my local storage to do so.
J’ai choisi Roon parce qu’il me permet d’apprécier — dans le sens le plus profond et le plus conscient du terme — ma discothèque :
I’ve come up with my own solution. I have identified a set of ‘core music’ by really strong artists each of whom has made a great contribution to music, and I’m going to ‘appreciate’ each of them. I mean listen to their music; read bio’s; read about the making of the albums, etc., and really get to know what made them tick and the contributions they have made to popular music and culture. I guess each artist will become a mini project that I can spend time on and I’m hoping that by doing this I can gain awareness of music that has hitherto avoided me. Also, when I just want to listen, I’ll use Tidal and do my serendipity thing.
Alors que les services de streaming favorisent la superficialité et l’utilitarisme :
Meg Lethem was working at her bakery job one morning in Boston when she had an epiphany. Tasked with choosing the day’s soundtrack, she opened Spotify, then flicked and flicked, endlessly searching for something to play. Nothing was perfect for the moment. She looked some more, through playlist after playlist. An uncomfortably familiar loop, it made her realise: she hated how music was being used in her life. “That was the problem,” she says. “Using music, rather than having it be its own experience … What kind of music am I going to use to set a mood for the day? What am I going to use to enjoy my walk? I started not really liking what that meant.”
C’est une manière comme une autre de « réensauvager » mon attention :
I love the idea of “rewilding your attention”. It puts a name on something I’ve been trying to do for a while now: To stop clicking on the stuff big-tech algorithms push at me. […] But our truly quirky dimensions are never really grasped by these recommendation algorithms. They have all the dullness of a Demographics 101 curriculum; they sketch our personalities with the crudity of crime-scene chalk-outlines. They’re not wrong about us; but they’re woefully incomplete. This is why I always get a slightly flattened feeling when I behold my feed, robotically unloading boxes of content from the same monotonous conveyor-belt of recommendations, catered to some imaginary marketing version of my identity. It’s like checking my reflection in the mirror and seeing stock-photo imagery.
Et puis il est plus facile de réécrire des livres et remastériser des albums quand ils ne sont pas vraiment dans ma bibliothèque1 :
In Britain, Clarissa Aykroyd, a Kindle reader of Dahl’s “Matilda,” watched a reference to Joseph Conrad disappear. (U.S. editions of Dahl’s books were unaffected.) Owners of Stine’s “Goosebumps” books lost mentions of schoolgirls’ “crushes” on a headmaster and a description of an overweight character with “at least six chins.” Racial and ethnic slurs were snipped out of Christie’s mysteries. In each case, e-books that had been published and sold in one form were retroactively (and irrevocably) altered, highlighting what consumer rights experts say is a convention of digital publishing that customers may never notice or realize they signed up for. Buying an e-book doesn’t necessarily mean it’s yours.
Sans transition, Jaron Lanier pense comme moi que le plus grand risque des « intelligences » dites artificielles serait que nous les pensions plus intelligentes que nous et plus artificielles qu’elles ne le sont. Il n’y a pas d’intelligence artificielle, dit-il, mais peut-être de nouvelles formes de collaboration sociale :
The most pragmatic position is to think of A.I. as a tool, not a creature. My attitude doesn’t eliminate the possibility of peril: however we think about it, we can still design and operate our new tech badly, in ways that can hurt us or even lead to our extinction. Mythologizing the technology only makes it more likely that we’ll fail to operate it well—and this kind of thinking limits our imaginations, tying them to yesterday’s dreams. We can work better under the assumption that there is no such thing as A.I. The sooner we understand this, the sooner we’ll start managing our new technology intelligently. If the new tech isn’t true artificial intelligence, then what is it? In my view, the most accurate way to understand what we are building today is as an innovative form of social collaboration.
Mais comme Google s’est allègrement servi dans les archives de Zinzolin, il ne fait aucun doute que Bard sera très intelligent2 :
Tech companies have grown secretive about what they feed the AI. So The Washington Post set out to analyze one of these data sets to fully reveal the types of proprietary, personal, and often offensive websites that go into an AI’s training data. To look inside this black box, we analyzed Google’s C4 data set, a massive snapshot of the contents of 15 million websites that have been used to instruct some high-profile English-language AIs, called large language models, including Google’s T5 and Facebook’s LLaMA.
Pourvu que les « intelligences » dites artificielles ne nous privent jamais de ces interactions tellement humaines :
At my local café, they do great coffee, Aussie style. Just imagine my horror when I figured out why. In one of Flights’s airport scenes, Tokarczuk bemoans the horror of encountering your compatriots abroad: Olga mate, try being an Australian in Europe! Nevertheless, in what can only be described as a fearless act of radical anti-neocolonialism, I insist on speaking German when I’m there. So do the baristas. There’s no chance — my accent being as it is — that they haven’t seen through me. My coffee order of choice doesn’t help in that regard. « Hallo, » I say each time, « uh, ein Flat White bitte ». « Ein Flat White, Kuhmilch? » the Aussie barista asks. « Ja, Kuh. » Hearing us both butcher the language of Goethe and Schiller while absolutely nailing the pronunciation of « flat white » would surely leave Jens Spahn begging us to please, please just speak in English. But that, mein lieber Jens, is something that I simply will not do.
C’est aussi pour cette raison que j’archive systématiquement une copie des livres numériques que j’ai achetés, si besoin en cassant les mesures d’emmerdement numérique imposées par les éditeurs. ↩︎
Je ris pour ne pas pleurer de rage. Un peu plus de 5 000 jetons du modèle C4 de Google, soit 0,000003 % du total, proviennent des articles de Zinzolin… qui sont de moins en moins bien référencés par le moteur de recherche de la même entreprise. Comme dirait Chris Coyier, « it’s fuckin’ rude ». ↩︎