Pendant un quart de siècle, mes grands-parents n’ont pas pris de véritable douche. Le minuscule cabinet de toilette était encombré par une lourde porte, qui s’ouvrait sur la cour coincée entre trois immeubles cossus du quartier d’Auteuil, aussi étouffante l’été que glaciale l’hiver. Se laver de la tête aux pieds exigeait une organisation méthodique, les bassines sur le feu et les serviettes à portée de main, et toutes les contorsions pour se rincer sans inonder la cuisine.
La toilette quotidienne tenait donc du rituel. Tous les après-midis, après sa journée de travail et une collation, mon grand-père se rasait en écoutant la radio. Les deux actions sont longtemps restées associées dans mon esprit, jusqu’à ce que je découvre les douches partagées des résidences universitaires délabrées du Sud parisien, où l’on ne pouvait pas mettre Les grosses têtes à tue-tête. J’avais oublié, jusque récemment.
Le poste Sony XDR-S41D que j’allume désormais tous les jours n’est indubitablement pas le summum de la technologie. Mais vous savez quoi ? Il suffit d’appuyer sur un bouton pour écouter immédiatement France Info. Il suffit de tourner une molette pour monter le son. Il suffit de quatre piles pour obtenir plusieurs mois d’autonomie, même si la DAB consomme beaucoup plus que la FM pour un catalogue plus réduit et une qualité sonore pas franchement supérieure.
L’antenne télescopique assure une réception raisonnable, les stations sont balayées automatiquement, et les métadonnées RDS s’affichent sur le petit écran LCD rétroéclairé. L’allumage et l’extinction peuvent être programmés, la date et l’heure étant d’ailleurs configurées automatiquement avec le signal de France Inter, et cinq stations peuvent être enregistrées sur autant de boutons.
D’une certaine manière, le HomePod mini est inférieur en tous points. Il ne fonctionne pas sans internet ni prise de courant. Siri ne reconnait pas toujours mes requêtes, et il faut farfouiller dans les réglages AirPlay pour le contrôler depuis un iPhone. Et il n’évoque pas le souvenir de mon grand-père émergeant du cabinet de toilette, fraichement rasé et précédé par le parfum épicé de l’after shave, avec les rires de la bande à Bouvard en fond sonore.
Regarder
Long Way Up (Ewan McGregor, Charley Boorman, David Alexanian, Russ Malkin). Ewan veut passer des vacances avec Charlie, mais ne sait pas comment parler à son meilleur ami sans caméras entre eux deux. Je serais curieux de connaitre le bilan carbone des Harley soi-disant électriques, mais en fait alimentées par des générateurs au diésel et des centrales au charbon. Quelle étrange affaire.
The Queen Gambit (Scott Frank, Allan Scott). « In the end », dit Mike Hale dans sa critique pour le New York Times, « it was an admirable package that I wanted to love more than I did. » My thoughts exactly.
How I Met Your Mother (Carter Bays, Craig Thomas). Mon épouse avait raté ce phénomène de culture populaire de la fin des années 2000. Je suis surpris qu’une œuvre aussi contemporaine ait aussi mal vieilli : Seinfeld ou Friends semblent plus familiers, parce que le grain de la pellicule et les références culturelles les maintiennent fermement dans le passé. HIMYM semble si proche, mais en même temps si loin. Je veux dire, Barney Stinson tient un blog. Un blog !
Song Exploder (Hrishikesh Hirway). Le son du podcast, affaibli par les images des documentaires à la sauce Netflix. (Mais regardez l’épisode consacré à Losing my Religion de REM.)
Mariah Carey’s Magical Christmas Special (Hamish Hamilton, Roman Coppola). Des décors à trois francs et des effets à six sous, des acteurs au charisme digne d’une carpe, c’est une manière de finir 2020. L’autre manière consiste à jouer Jingle Bells en mineur, sans froufrous ni prétention, comme le fait Chilly Gonzales dans le délicieusement étrange A Very Chilly Christmas.
Hilda (Luke Pearson). Quand on ne prend les enfants ni pour de grands bébés, ni pour de petits adultes, on obtient Hilda. Le monde vaguement scandinave croqué par Luke Pearson est riche et foisonnant, les épisodes ont une morale sans être moralisantes, et la deuxième saison est étonnamment exigeante. J’ai assez envie d’acheter les six tomes de la bande dessinée pour retourner à Trolberg.
The Midnight Sky (George Clooney). La soupe post-apocalyptique habituelle, qui se termine évidemment par le couronnement d’un nouveau couple palingénésique. La barbe de Clooney m’a plus intéressé qu’autre chose – mon barbier me manque.
Soul (Pete Docter). Pixar est de retour, et ça swingue. (Par ailleurs, trois films d’affilée sur la mort, je me demande ce que cela reflète de notre psyché collective.)
Rose Island (Sydney Sibilia, Francesca Manieri). J’ai toujours été fasciné par les cryptarchies, et l’histoire de la République espérantiste de l’ile de la Rose est captivante. Rose Island prend quelques libertés avec cette histoire, mais cela fait probablement un meilleur film. Maintenant, j’attends celui sur la République libre du Saugeais.
The Mandalorian (Jon Favreau). Un haussement d’épaules avant de se laisser couler dans le canapé, l’univers de Star Wars m’inspire le même ennui nostalgique que celui de Star Trek. Mais la bande de Favreau prend plaisir à (re)donner vie aux héros de notre enfance, avec une culture cinématographique de premier ordre et des moyens technologiques de premier plan, et cela se voit.
Écouter
Puisque j’ai dû tester le casque AirPods Max, j’ai surtout écouté ma liste de lecture d’évaluation.
Jazz is Dead 004 et Jazz is Dead 005 (Shaheed Muhammad, Adrian Younge). Les explorations de Shaheed Muhammad et Adrian Younge, entourés de musiciens capables de passer du jazz au hip-hop après un détour par l’électro, sont toujours aussi passionnantes. Ce projet n’a qu’un défaut, celui de finir dans trois disques.
McCartney III (Paul McCartney). McCartney et McCartney II étaient des produits de leur temps, dans leurs travers plus encore que leurs réussites. McCartney III n’est pas la énième tentative d’un garçon qui veut rester dans le vent. C’est l’album gentillet d’un vieillard libidineux, qui gratouille et pianote depuis le fin fond de la campagne anglaise, et chante sur un filet de voix. Et ce n’est pas plus mal. Winter Bird/When Winter Comes demande à être écoutée en buvant un chocolat chaud.
Lire
Vue à travers ma bibliothèque, l’année 2020 ne s’est pas si mal passée que cela. Et l’année 2021 commence bien, grâce au DOET de Don Norman. Par ailleurs, je retiens ces articles :
- « The Rise and Fall of Getting Things Done » (Cal Newport, The New Yorker)
- « What Obama gets right — and very wrong — about the media » (Margaret Sullivan, The Washington Post)
- « The Age of Electric Cars Is Dawning Ahead of Schedule » (Jack Ewing, The New York Times)
- « Lettre à mon ami complotiste » (Nicolas Celnik, Libération)
- « Your Bubble Is Bigger Than You Think It Is » (Farhad Manjoo, The New York Times)
- « Your Move, iPad » (Becky Hansmeyer)
- « On se rapproche d’une démocratie à tendance technocratique mâtinée d’un penchant liberticide » (Pierre Rosanvallon, Libération)
- « What does it mean to consider yourself a disabled person? » (Joanne Limburg, Aeon Magazine)
- « This used to be our playground » (Simon Collison)
- « The Mystery of the Disappearing Manuscripts » (Elizabeth A. Harris et Nicole Perlroth, The New York Times)
- « How Claude Shannon Invented the Future » (David Tse, Quanta)
- « Is Substack the Media Future We Want? » (Anna Wiener, The New Yorker)
- « À gauche, la guerre des religions a bien lieu » (Patrick Sabatier, Libération)
- « The Gospel of Hydrogen Power » (Roy Furchgott, The New York Times)
- « Watching Earth Burn » (Michael Benson, The New York Times)
- « My stack will outlive yours » (Steren Giannini)
- « The Climate Crisis Will Be Steroids for Fascism » (Brian Kahn, Gizmodo)
- « The American Abyss » (Timothy Snyder, The New York Times)