Près de deux ans après sa présentation, iBeacon reste encore peu utilisé. Il s’agit certes d’une technologie toute jeune, mais les commerces de détail pour lesquels elle a été conçue ne semblent pas pressés de l’adopter. Reste que d’autres s’en sont emparés, si bien que l’on commence à trouver des balises de microlocalisation dans des stades, des zoos — et des musées. Pourquoi faire ? Entretien avec Olivier Heu, président de AppsAre.us, qui développe la solution iBeacon next2u.
iBeacon, la microlocalisation selon Apple
La précision du GPS est de l’ordre d’une dizaine de mètres… quand le signal est excellent, ce qui n’est jamais le cas en intérieur. C’est précisément là où la microlocalisation prend le relais.
Présentée par Apple en 2013, iBeacon est sans doute la plateforme de microlocalisation la plus développée. Si le GPS s’appuie sur la triangulation du signal de satellites, iBeacon se repose sur la détection de petites balises — beacons en anglais — émettant un signal Bluetooth Low Energy.
« Les balises émettent jusqu’à une trentaine de mètres », explique Olivier Heu, « du moins dans des conditions parfaites. […] Dans les faits, il faut être à moins de quinze mètres du beacon*. »* L’intérêt du Bluetooth Low Energy est moins sa portée que sa faible consommation : les balises peuvent être alimentées pendant des mois par une simple pile bouton.
Le système iBeacon définit la manière dont ces balises s’identifient, et comment un appareil peut les reconnaître. Il établit notamment trois distances d’interaction : « immédiate » (moins d’un mètre), « proche » (quelques mètres), et « éloignée » (une dizaine de mètres). « On peut donc savoir si un visiteur est à un endroit précis ou à un autre », dit Olivier Heu.
Apple a pensé iBeacon pour le commerce de détail : si le client a installé l’application du commerçant sur son iPhone, le téléphone peut reconnaître les balises du commerçant, et envoyer une information contextualisée au client. S’il passe à proximité de tel rayon, il pourra recevoir un coupon de réduction, alors qu’il recevra plutôt des conseils dans un autre rayon.
On trouve évidemment des balises dans les Apple Store — c’est d’ailleurs leur installation fin 2013 qui a piqué l’intérêt d’Olivier Heu. Sa société développait à l’époque une plateforme de localisation GPS ; elle propose désormais des balises et une solution applicative permettant d’utiliser iBeacon.
L’exemple de next2u
Sans même parler des balises disponibles en marque blanche en Chine, nombreux sont les fabricants à proposer des « kits iBeacon ». Qualcomm et Estimote sont les plus connus, mais on peut aussi citer Bluecats, BlueSense, Gelo, ou encore Sensorberg. Les plus bricoleurs peuvent même transformer un vieil iPhone ou un Raspberry Pi en balise iBeacon.
La solution de next2u présente toutefois l’intérêt d’être développée par des Français, d’être peu coûteuse, et surtout d’être « agnostique ». Un développeur expérimenté peut utiliser les balises de next2u sans passer par un système propriétaire : « nous ne voulons rien imposer », explique Olivier Heu, « nous voulons rester un système ouvert. Si demain un client veut utiliser d’autres balises, il peut le faire. »
Next2u propose toutefois une solution applicative « clef en main » permettant de déployer rapidement quelques balises — nous avons pu nous-mêmes en faire l’expérience grâce à un « kit de découverte ». Ces balises peuvent renvoyer vers du contenu chez next2u, que l’application du même nom permet de mettre en page.
On peut ainsi ajouter du texte, des images, de l’audio (enregistré ou généré par une synthèse vocale), et bientôt de la vidéo. L’interface est suffisamment simple pour être utilisée par tous, ce qui ouvre la porte à un usage dans le cadre d’expérimentations avec un petit budget.
Il suffit de demander au visiteur de télécharger l’application next2u, et il pourra consulter le contenu en passant à proximité des balises. Les balises peuvent être référencées dans une base de données publique, qui transforme le lieu de visite en hotspot dont les informations peuvent être (re)consultées à distance.
Le dispositif a notamment été déployé à HEC, où il permet aux étudiants de se repérer et d’obtenir des informations sur les œuvres dispersées sur le campus. Mais il est aussi à portée des plus petites structures : le « kit de découverte » vaut 66 € pour deux balises, 96 € pour trois balises, et 150 € pour cinq balises.
Il faut compter environ 2 000 € HT pour transformer l’essai, un tarif qui inclut une quarantaine de balises, une journée de formation des responsables et un service de support et de personnalisation. La maintenance des balises est moins lourde que celle d’un parc d’audioguides, puisque le visiteur utilise son propre matériel.
Des expériences en cours
Cette légèreté et cette flexibilité font tout l’intérêt des solutions basées sur iBeacon — il n’est donc pas étonnant que plusieurs institutions muséales s’y soient penchées de près. En France, le musée Jacquemart-André et la galerie Sakura font figure de pionniers, avec l’assistance de SmartApps pour le premier et de SmartBeacon pour la deuxième. Dans un cas comme dans l’autre, l’information vient vers le visiteur au travers d’une application : il s’agit d’une première étape assez passive, celle du « cartel enrichi ».
La deuxième étape est plus active : elle vise à transformer le visiteur en « visacteur », comme le disent certains médiateurs, d’une visite devenue « expérience », comme on l’a beaucoup entendu pendant les dernières RCNI. Au printemps 2014, le New Museum de New York a ainsi immergé les visiteurs dans un « champ de mines numériques » dont les explosions étaient déclenchées par le passage à proximité de balises.
Les balises de la maison de Rubens, à Anvers, servent d’abord et avant tout de « cartel enrichi » et d’audioguide modernisé. Mais elles font office de repères pour une application qui se transforme au fil de la visite — c’est une loupe permettant d’étudier un détail, c’est un scanner à rayons X, c’est une machine à remonter le temps. Les beacons donnent littéralement une nouvelle dimension aux œuvres et aux espaces qui les abritent.
Une dimension parfois commerciale, il faut le dire : l’utilisation des balises est décortiquée pour juger du succès de tel ou tel dispositif, identifier d’éventuels points chauds ou blocages dans la visite… et mieux cibler le visiteur. « À terme, un musée pourra développer ses activités commerciales à l’aide des balises », reprend Olivier Heu : « on peut imaginer qu’il promeuve un ouvrage ou un bibelot à proximité d’une œuvre, puisqu’il vous les rappelle à quelques mètres de la librairie. »
À terme et grâce à la connexion à une application, le musée pourra même fidéliser son visiteur. Comme Amazon suit son client dans sa boutique, le musée « pourra suivre le visiteur dans ses salles, et lui proposer de reprendre la visite là où il l’a laissé, de découvrir de nouvelles pièces ou de revenir sur une de ses pièces préférées. » Certains musées pourraient aussi mélanger visite sur place et visite virtuelle : le contenu des hotspots next2u, rappelez-vous, peut être consulté à distance.
Une technologie limitée
Reste que les balises ne se suffisent pas à elles-mêmes. À ce titre, l’expérience de l’Australian Museum est riche d’enseignements :
Les résultats de notre évaluation n’ont pas été surprenants. La principale conclusion est que les notifications des balises ont rempli leur objectif, les utilisateurs comprenant leur utilité. Cependant, elles n’ont pas été beaucoup utilisées : les balises sont un petit plus appréciable, mais elles ne forment pas le cœur de l’expérience.
Une autre conclusion intéressante est que les cartels ont été aussi lus que les commentaires ont été écoutés. Ce n’était pas prévu, l’audio étant le principal objet de l’application [conçue pour l’exposition sur les Aztèques qui a servi de terrain d’expérimentation]. Cela montre l’importance de continuer à fournir du texte.
La technologie elle-même ne peut se substituer à une réflexion profonde sur les nouvelles pratiques de médiation culturelle. Les balises ne peuvent pas seulement être de nouvelles formes de cartels, les applications ne peuvent pas seulement être de nouvelles formes d’audioguides : il faut imaginer de nouvelles expériences tirant parti des spécifiés du support. L’Australian Museum explorera ainsi cette année autour du cadre spatial du beacon.
Un cadre qui limite lui-même les usages : « l’eau absorbe les signaux Bluetooth », explique Olivier Heu, « or le corps humain est composé à 65 % d’eau. Il est donc difficile de placer de nombreuses balises dans un espace réduit : les visiteurs représentent des obstacles. » Reste que « les balises peuvent aussi à étendre les dispositifs, à couvrir les expositions temporaires plus facilement et plus rapidement, ou à apporter du contenu dans le musée ou autour du musée », poursuit le fondateur de next2u.
Les beacons ne sont donc pas la solution, mais une solution. Et une solution qui devrait atteindre une certaine maturité technique cette année, au moment même où l’intérêt pour elle s’affirme. « Next2u présentera bientôt une nouvelle version », confie Olivier Heu, avec quelques fonctions particulièrement pertinentes pour les musées comme un système de gestion centralisée et un module de lecture des contenus par voix de synthèse dans une trentaine de langues.