Fraîchement nommée à la tête du ministère de la Culture, Fleur Pellerin s’est promise « de moderniser l’exception culturelle française », sans doute à la lumière des récentes évolutions technologiques. Spécialiste des questions numériques dans l’équipe de campagne de François Hollande comme les borgnes sont rois au pays des aveugles, elle s’est distinguée par des positions pour le moins ambiguës, qui promettent des débats passionnés dans les mois à venir.
Comme Axelle Lemaire, confirmée à son poste de secrétaire d’État chargée du Numérique, Fleur Pellerin est nettement en faveur de la promotion du logiciel libre. Au début de l’année dernière, alors qu’elle était encore ministre déléguée aux PME, à l’innovation et à l’économie numérique, elle se montrait favorable à un effort de « soutien à la recherche et au développement […] du secteur du logiciel libre », dont le modèle, « au cœur d’enjeux stratégiques », « revêt un intérêt qui n’est plus à démontrer ».
Fleur Pellerin devrait aussi relancer le processus de création d’un poste d’administrateur général des données, ralenti par la valse gouvernementale. À l’aide de Thierry Mandon, maintenu dans ses fonctions de secrétaire d’État en charge de la Réforme de l’État, elle aura la lourde tâche de définir le rôle d’un chief data officer à la française et les contours d’une politique d’open data nationale. La transcription d’une directrice européenne sur la « réutilisation des informations du secteur public » en droit français, qui devrait passer par une modification de la loi CADA de 1978, en sera sans doute l’occasion.
Les positions de la ministre de la Culture sur l’épineux sujet de la riposte graduée sont moins claires. Tout en reconnaissant que la « Hadopi était une législation d’exception », elle s’est déclarée favorable au transfert de ses compétences à un nouveau régulateur qui aurait le pouvoir de prononcer des amendes pénales. « Ce n’est quand même pas très liberticide », se justifie-t-elle, comparant ce système au « modèle des radars automatiques sur les autoroutes ». Axelle Lemaire n’est pas du même avis, mais elle devra sans doute se plier aux ordres de sa ministre de tutelle, qui a d’ores et déjà reçu le soutien d’Éric Walter, secrétaire général de la Hadopi.
La jeune secrétaire d’État aura par ailleurs fort à faire avec la question du blocage administratif des sites web — c’est-à-dire du blocage sans décision de justice, un mécanisme qui ne va pas sans poser de graves problèmes de liberté d’expression, mais qui a été institutionnalisé par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sous prétexte de lutte contre l’apologie du terrorisme. Un dossier directement lié aux questions culturelles, puisque certains imaginent pouvoir utiliser les mêmes leviers pour bloquer des sites de téléchargement direct ou de streaming illégal.
Fleur Pellerin surveillera avec attention l’entrée de Netflix sur le marché français à la mi-septembre, et montera sans aucun doute au créneau quand reviendra le débat sur la fiscalité des big four (Google, Apple, Facebook, Amazon). Des sujets qui amèneront sans doute celle que l’on appelait autrefois « fleur d’oranger » à rappeler son hostilité au concept de neutralité du réseau, qui « favorise[rait] les intérêts économiques » des sociétés américaines au détriment de la sacro-sainte « exception culturelle ». Données ouvertes mais liberté d’expression contrôlée, amour du logiciel libre mais pas de l’internet libre, fascination pour le village global quand il est centré sur la France, tels sont les paradoxes de Fleur Pellerin. Au moins fera-t-elle parler de culture et de numérique.
Droit à l’oubli et droit d’auteur
La Wikimedia Foundation s’est retrouvée au centre de deux controverses juridiques aux ramifications significatives. La première concerne le principe de « droit à l’oubli », forme de censure instituée par la Cour de justice de l’Union européenne « qui créer[a] des vides sur des aspects importants de notre société et de notre culture », disions-nous. La fondation responsable de Wikipédia est du même avis, déplorant que cette décision crée un internet « criblé de trous de mémoire — de lieux où des informations gênantes disparaissent sans autre forme de procès. » À défaut de pouvoir conserver ces informations, elle conservera une trace de leur suppression sur une page dédiée, créant ainsi une sorte de « droit à la mémoire ».
Sur une note plus légère, la Wikimedia Foundation a aussi été à l’origine de l’établissement d’une recommandation sur le droit d’auteur… des singes. En publiant son premier Transparency Report, la fondation a révélé qu’elle avait refusé à David Slater le droit d’affirmer son droit d’auteur sur l’auto-portrait d’un macaque nègre. Alors que le photographe britannique arguait que le cliché avait été pris avec son appareil photo réglé d’une manière très précise et donc lui appartenait, la Wikimedia Foundation l’a placé dans le domaine public. L’U.S. Copyright Office lui a donné raison en prenant la décision, à la lumière de cet épisode, de ne plus reconnaître « les œuvres produites par la nature, des animaux ou des plantes » ainsi que celles « soi-disant créées par des êtres surnaturels ou divins ».
Lieu de lecture ou lieu de travail ?
Les bibliothèques américaines sont à la pointe d’un mouvement de redéfinition de leur mission, aussi bien parce qu’elles ont la charge de près de 800 millions de livres que parce que 50 % des Américains possèdent une tablette ou une liseuse et qu’un tiers d’entre eux ont lu au moins un livre électronique l’an dernier. Plusieurs d’entres elles offrent désormais des espaces de travail coopératif, intègrent des cafétérias et font office de galerie d’art et de centre culturel. L’association Citizens Defending Libraries s’inquiète que les bibliothèques oublient au passage leur mission : « il est pertinent que les bibliothèques intègrent des espaces de travail, mais [il ne faudrait pas les] transformer en Starbucks. » Anthony Marx, qui aurait voulu faire évoluer la New York Public Library dans cette direction, pense plutôt que « les bibliothèques devraient fournir un accès gratuit à l’information et un lieu d’activité intellectuelle, qui s’agisse de mettre sur pied une nouvelle entreprise ou de réfléchir à un nouveau roman. »
Des vues qui n’ont pas su trouver de soutiens et de financements, mais qui apparaissent très mesurées face à des projets plus radicaux. Les étudiants de la Florida Polytechnic University ne pourront ainsi pas emprunter de livres dans leur nouvelle bibliothèque : elle n’en contient aucun, alors qu’elle possède des ordinateurs et des tablettes. Grâce à un partenariat avec plusieurs éditeurs, elle offre l’accès à un vaste catalogue de livres numériques. Chaque titre peut être consulté gratuitement par un seul étudiant une seule fois ; si un deuxième étudiant veut le consulter, alors la bibliothèque l’achètera pour de bon : un peu plus de 45 000 € ont été réservés à cet effet. La Florida Polytechnic University n’est pas la première bibliothèque « sans livres », mais ce mouvement reste rare : moins d’une demi-douzaine de bibliothèques américaines, dont deux administrées par la NASA, ont adopté ce modèle.
En bref
Littérature
Le bras de fer opposant Amazon à Hachette continue encore et encore. Alors que Hachette assure que 80 % de ses livres numériques sont vendus sous le seuil fatidique des 10 $, Amazon a convoqué l’esprit d’Orwell pour défendre sa position — une stratégie d’autant plus maladroite qu’elle déforme ses propos, et qu’elle avait supprimée 1984 et La ferme des animaux de certains Kindle il y a cinq ans. Jake Kerr et Glenn Fleishman proposent deux excellentes analyses de la situation.
Frédéric Beigbeder persiste et signe : son dernier ouvrage, Oona & Salinger, ne sera pas disponible sous forme dématérialisée. Est-ce qu’on le retiendra mieux en le lisant sur papier ? Ce n’est pas ce que les recherches suggèrent, même s’il semble que le cadre physique de la liseuse fausse le rapport au temps des lecteurs — tourner une page, c’est comme égrener les secondes.
La SNCF lance la « bibliothèque digitale TER », qui propose des ouvrages gratuits ou abordables adaptés à la durée des trajets en train. L’expérience, qui durera 6 à 12 mois sur deux trains au départ de Nancy et Metz, associe la région Lorraine, la SNCF, StoryLab Éditions et Parallèles Éditions.
Musées
Après trois ans d’expérimentations, le Rijksmuseum a décidé de verser l’intégralité de ses collections numériques dans le domaine public, et de les proposer au téléchargement libre dans la plus haute qualité possible.
Le Cooper Hewitt explique pourquoi il collecte désormais du code informatique : « cela permet au musée et aux futurs chercheurs d’observer et d’interroger les choix effectués en fonction des limites technologiques au moment de la création, et les ajustements réalisés afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs. »
Snapchat est à ce point incontournable qu’il est désormais un canal de communication pour des musées à la recherche d’un public jeune et technophile.
La prochaine édition de la conférence MuseumNext, qui explore l’avenir des musées depuis 2009, se déroulera du 19 au 21 octobre 2015 à Genève. L’appel à communications s’intéresse aux pratiques muséales actuelles informant les pratiques muséales de demain.
Archives
Comme elle l’avait fait pour le Livre d’heures de Jeanne de France en 2012, la BNF a lancé une souscription en ligne pour acquérir le plus beau des trois manuscrits enluminés de la Description des douze Césars avec leurs figures. Le don ouvre droit à une réduction fiscale, ainsi qu’à différents avantages selon la générosité du donateur, sur le modèle de Kickstarter.
EDF a mis en ligne ses archives historiques.
L’Internet Archive a publié sur Flickr plus de 2,6 millions d’images extraites de livres tombés dans le domaine public. Et l’association en possède 11,4 millions de plus, qu’elle publiera progressivement, avec les 500 mots les précédant et les suivant.
En vrac
Mallory Andrews s’est penché sur le problème de la préservation de Star Wars et de ses multiples éditions.
Un millionnaire brésilien veut posséder une collection exhaustive de tous les disques vinyles, et trouver un moyen de la numériser et de l’archiver. Après 40 ans de voyages et d’achats, il possède plus de trois millions de disques. Trois. Millions.
L’étude des œuvres de Picasso est un passage obligé à l’Apple University, où elles servent à démontrer la sophistication de la simplification.
L’administration fiscale a tranché : un moniteur connecté à une box est soumis à la redevance TV. Et tant pis si les offres sans télévision sont aussi celles au rapport service/débit/prix le plus faible.