Céline Schoen, L’Express :

Voter une résolution contre Apple sur un outil… estampillé Apple. À Bruxelles, les eurodéputés vont peut-être vivre cette scène ubuesque dans les prochains mois. Pandémie de coronavirus oblige, beaucoup d’élus n’ont, en effet, pas repris leurs quartiers à Bruxelles. Comment, alors, prendre des décisions en commissions ? Seul moyen, le scrutin électronique. À la mi-juin, le Parlement a donc lancé une application, baptisée iVote.

À tant vouloir taper sur les méchants GAFA, pour flatter les bas instincts d’un lectorat abruti par la répétition d’idées simplistes, une certaine presse se fourvoie à tous les étages. La journaliste entame son article en parlant d’un outil « estampillé Apple », ce qui n’est pas vrai. Le secrétariat de rédaction1 embraye avec le titre « iVote, l’outil signé Apple qui crée la discorde au Parlement européen », ce qui est complètement faux. Les « lecteurs » ne sont pas allés plus loin que les quelques lignes disponibles en accès libre, et les remontrances à l’encontre d’Apple tournent en boucle sur les réseaux sociaux.

Sauf que l’application iVote a été conçue par la Direction générale des politiques internes de l’Union (DG IPOL), l’une des douze directions générales du secrétariat général du Parlement européen. Après ma propre intervention sur les réseaux sociaux, le titre a été corrigé en catimini, et se lit maintenant « iVote, pomme de discorde au Parlement européen ». Mais l’article contient toujours des erreurs, et le mal est fait. Cette mauvaise polémique nous prive d’un débat éclairé sur la souveraineté numérique et la conception des services publics numériques2, parce que la véritable information est cachée par l’actualité erronée.

Mois après mois, année après année, les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences déprimantes. Tant que les rédactions en chef ne reconnaitront pas la « technologie » comme un sujet aussi central que la politique ou l’économie, qui doit être confié à des journalistes spécialisés dotés des moyens de faire leur travail, la presse continuera à fabriquer des fausses informations… tout en se plaignant des fake news avec la bouche en cœur !


  1. Pour autant que la titraille des articles publiés sur le web relève encore d’un véritable secrétariat de rédaction. ↩︎

  2. Il va quand même falloir m’expliquer pourquoi il fallait absolument développer une application iOS, distribuer des tablettes, créer des identifiants Apple, utiliser TestFlight, et stocker des données dans iCloud Drive… pour générer un PDF. ↩︎