Non, je ne débourserai pas 40 € pour avoir l’insigne honneur de faire partie d’App.net pendant un an. Les idées ayant présidé à la conception ce nouveau réseau social auraient pu être proprement révolutionnaires pour l’évolution du web ; telles qu’elles ont été présentées, elles en font un simple club pour une élite autoproclamée de l’égomaniaquerie.
App.net rime avec racket
De la suppression des flux RSS d’indexation à la fermeture progressive de l’API, Twitter se transforme lentement en réseau fermé sous la pression des investisseurs. Il faut afficher de la publicité, gagner de l’argent, et seul un écosystème contrôlé permet de le faire. App.net n’est qu’un des projets issus de la contestation de Twitter — et il a ironiquement décollé grâce aux plaintes des utilisateurs de Twitter sur Twitter.
Vouloir construire un réseau social en échappant au capital-risque et à la publicité sont des buts nobles. Il faut aussi un peu de folie pour aller à rebours du principal modèle économique du web, mais le public visé est peut-être mûr, du moins si le mouvement de fermeture de comptes Google est un indice. La méthode d’App.net, néanmoins, est mauvaise.
J’ai toussé en découvrant que le principal argument en faveur de l’abonnement à 40 € par an était de pouvoir réserver mon pseudonyme Twitter. Le jeu du « premier arrivé, premier servi » n’a rien de nouveau certes, mais utiliser mon identité numérique comme argument commercial me parait à la limite du racket. Les dirigeants d’App.net ont visiblement pris conscience de cette bourde, et cette clause dérangeante a semble-t-il disparu du site.
J’ai aussi bien du mal à comprendre comment un réseau qui se veut si égalitaire et si simple oblige à payer deux fois plus cher pour accéder à « une offre développeur », qui comporte notamment l’accès complet à l’API, ce qui me semble être pourtant la base de tout réseau social digne de ce nom. Je rouspète constamment au sujet de la politique de Twitter vis-à-vis de son API, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas de même avec ce nouveau venu.
App.net rime avec miroir aux alouettes
Quand bien même la politique commerciale d’App.net serait plus claire que j’aurais toujours des choses à redire. Son nom est stupide, il évoque un studio de développement mobile ou une boutique d’applications, pas un réseau social. Mais ce n’est pas le plus gros problème d’App.net. Le plus gros problème de ce réseau, c’est tout simplement son modèle économique.
On arrive à trouver des gens pour se plaindre du prix des apps à 0,79 €, alors imaginez un réseau social à 40 € par an. Facebook ou Google ont des politiques de gestion des données privées obscures et détestables, mais le mouvement de contestation n’est qu’une goutte dans l’océan de leurs centaines de millions d’utilisateurs. 3,3 € par mois, c’est plus cher que les ennuis que cause Twitter à ses utilisateurs.
Qu’importe le verrouillage progressif de l’API, la plupart des utilisateurs resteront sur Twitter — ils utilisent de toute manière déjà le site ou l’application officielle. Ils finiront pas faire passer la publicité dans leur champ de vision périphérique, et les 2 % qui cliqueront suffiront à rentabiliser le service. Ces utilisateurs-là n’iront donc jamais sur App.net, ils sont trop occupés à taguer des photos sur Facebook et retweeter la star locale sur Twitter.
Dalton Calwell, le créateur d’App.net, promet qu’il prendra en charge les flux Activitystrea.ms et Pubsubhubbub, mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Les plus attachés à leur liberté continueront à développer des réseaux totalement décentralisés comme Diaspora1. C’est une option parfaitement marginale, mais c’est aussi la seule viable pour le moment si l’on veut rester totalement maitre de ses données.
Reste donc l’entredeux, les noms familiers listés sur la page d’accueil d’App.net, placés là comme des rasoirs en promotion en tête de gondole. Alors quoi, on fait un réseau avec la blogosphère Mac/design/Silicon Valley ? Ça va être fun, mais bonne chance, je suppose…
Mise à jour du 18 aout 2012. J’ai retiré la vidéo de présentation d’App.net. Hébergée sur Vimeo Plus, elle était accompagnée d’un script Google Analytics, alors que je refuse l’emploi de systèmes de pistage des lecteurs. Voilà qui finit de me convaincre à leur sujet : si App.net était vraiment sérieux dans leur démarche libératrice, ils auraient privilégié un hébergement sans mouchard. Voilà un magnifique exemple de double langage : App.net vous vend une illusion de liberté — au moins le deal publicité ciblée grâce aux informations privées contre service est-il plus clair.
Il faut noter que les CGUs d’App.net semblent indiquer que les messages envoyés restent la propriété de leurs auteurs, ce qui n’est pas plus mal. Mais a un effet collatéral fâcheux pour l’historien qui sommeille en moi : la Bibliothèque du Congrès ne pourra pas les archiver facilement comme elle avait pu archiver Twitter pendant ses premières années. ↩︎