Guide orthotypographique

J’écris pour oublier, mais parfois, j’oublie comment écrire. Ce document décrit mes choix stylistiques et orthographiques, sans pour autant les codifier strictement.

Ton et style

J’écris à la première personne. J’écris comme je parle, c’est-à-dire avec un ton cordial et assuré, mais — je l’espère — ni familier ni professoral. Je suis moins sérieux et moins pessimiste que les gens le prétendent, même si je l’oublie parfois. Je n’ai pas besoin de me faire plus sympathique que je ne le suis vraiment, même si je peux l’être, après une bonne assiette et un bon verre.

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », disait Boileau1. Le mot le plus juste est le mot le plus simple. Un mot complexe est accompagné par un mot d’explication. Je refuse de préjuger des connaissances de ma lectrice, de la croire moins intelligente qu’elle ne l’est vraiment, mais aussi (et surtout) de la croire plus intelligente qu’elle l’est vraiment.

« Si j’avais le temps, j’écrirais moins », dis-je en paraphrasant Pascal2. J’ai le temps d’écrire moins, mais il y a un temps pour fignoler, et un temps pour publier. J’écris parfois des phrases très denses, mais je préfère être accusé d’avoir trop peu écrit que d’avoir noyé le poisson.

Orthographe

Graphie rectifiée

De manière générale, je suis les rectifications orthographiques de 1990 :

  • je privilégie les graphiques « simplifiées » (y compris « ognon » et « nénufar », et tant pis pour le merveilleux piège du « cuissot »/« cuisseau » de la dictée de Mérimée) ;
  • je fais tomber les accents circonflexes inutiles (« connaitre » et « boite » plutôt que « connaître » et « boîte ») ;
  • j’utilise les accents conformes à la prononciation (« évènement » et « dussè-je » plutôt qu’« événement » et « dussé-je ») ;
  • j’utilise une consonne simple devant un « e » muet (« lunette » mais « lunetier ») ;
  • je déplace le tréma sur le « u » des séquences « -guë- » et « -guï- » (« contigüe » plutôt que « contiguë ») et l’ajoute dans les mots terminant par « -geure » où le « u » est prononcé (« gageüre » plutôt que « gageure ») ;
  • j’uniformise la graphie des familles de mots (« imbécilité », comme « imbécile », plutôt qu’« imbécillité ») ;
  • je rectifie les séquences « -illier » (« -iller » dans « joailler » ou « -illère » dans « serpillère »), « -olle » (« -ole » dans « corole ») et « -otter » (« -oter » dans « greloter ») ;
  • j’aligne la conjugaison des verbes en « -eler » et « -eter » (« amoncèle » et « volète » plutôt qu’« amoncelle » et « volette ») ;
  • je simplifie la construction des mots composés (« casse-noisette » plutôt que « casse-noisettes ») et supprime le trait d’union lorsque cela est possible (« entretemps » plutôt que « entre-temps »).

Une seule exception : je refuse de franciser les emprunts aux langues étrangères.

Expressions latines

J’écris les expressions latines… en latin (« a priori » plutôt que « à priori »).

Mots étrangers

La francisation des emprunts me laisse pantois. Je veux bien écrire « litchi » ou « goulache », translittération oblige, mais je refuse de reconnaitre l’existence de « bizness » et « cornedbif », sans même parler de « paélia ».

Nombres, devises, unités, et dimensions

J’écris les nombres :

  • en toutes lettres jusqu’à vingt :
  • sauf lorsqu’ils sont suivis d’une devise ou d’une unité de mesure (« 12,9” », « 2 € ») ;
  • en chiffres au-delà ;
  • sauf les nombres ronds simples (« cent chevaux », « un million de bulletins », « un milliard de personnes ») ;
  • en début de phrase et dans les expressions figurées (« un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ») ;

Lorsqu’elles sont précédées par un nombre, je représente généralement les devises et les unités de mesure par leurs symboles (« il voulait changer ses dollars », mais « 84 £ » et « 120 kg »). J’utilise les symboles courants, précédés d’une espace insécable. Je présente les dimensions dans l’ordre suivant, séparées par une espace insécable :

  • longueur × largeur (ou profondeur) ;
  • largeur × hauteur ;
  • longueur × largeur × hauteur (ou épaisseur).

Dans un registre plus littéraire, je peux écrire les unités de mesure en toutes lettres (« une planche de trois mètres sur quatre mètres » ou « une planche de trois mètres sur quatre », mais pas « une planche de 3 × 4 m »). En cas de doute, je précise avec les compléments déterminatifs appropriés (« une planche de trois mètres de longueur sur quatre mètres de largeur » ou « une planche de trois mètres de long sur quatre mètres de large »).

Je sépare les triades par une espace fine (« 1 984 », « 65 000 000 », « 1 024 × 768 px »). J’arrondis généralement au deuxième chiffre après la virgule.

Tirets

J’utilise le tiret cadratin (⌥-) :

  • pour encadrer les incises ;
  • pour indiquer le changement d’interlocuteur dans un dialogue ;
  • en l’absence de puces, pour introduire les éléments d’une liste ;
  • comme trait d’union dans les associations d’éléments comportant eux-mêmes des traits d’union (« le train Aix-en-Provence—Boulogne-sur-Mer est particulièrement long »).

Je n’utilise pas cette béquille typographique qu’est le tiret demi-cadratin.

Actif et passif

Je préfère les tournures actives et directes aux tournures passives et indirectes.

Citations

J’encadre les courtes citations de guillemets français (« et »). Pour les distinguer des autonymes et des approximations, eux aussi encadrés de guillemets français, je les compose en italiques, au grand dam de l’Imprimerie nationale. J’encadre les citations à l’intérieur d’une citation de guillemets anglais doubles (“ et ”), et les citations de troisième rang de guillemets anglais simples (‘ et ’). Les guillemets précèdent la ponctuation, sauf lorsqu’elle figure dans la citation.

Je passe les longues citations à la ligne, avec un léger retrait à gauche. J’encadre toute modification de crochets, et je signale toute suppression par des points de suspension encadrés de crochets. J’indique toujours la source pour permettre le retour au texte original, soit au fil du texte, soit sous la forme d’une note marginale. Après avoir donné son nom complet, j’appelle l’auteur par son prénom.

Énumérations et listes

Dans une énumération comprenant plus de deux éléments, je mets une virgule avant les conjonctions « et », « ou », et « ni ». Lorsque la conjonction n’est pas répétée, je peux omettre la virgule. Mais comme le prouve la première phrase de ce paragraphe, je suis un partisan de la virgule dite « de série », qui permet de lever toute ambigüité. « À mes parents, Marie et Dieu » ne veut pas tout à fait dire la même chose que : « à mes parents, Marie, et Dieu ».

J’utilise le point-virgule pour séparer les éléments d’une énumération comportant des virgules. Les éléments d’une liste :

  • commencent par une minuscule ;
  • sont suivis par un point-virgule ;
  • sauf le dernier, qui est suivi par un point.

Sauf dans les articles de la série « Le jour d’avant/d’après », j’évite le développement par points.

Espaces

SigneEspace avantEspace après
.AucuneSimple
,AucuneSimple
AucuneSimple
!FineSimple
?FineSimple
;FineSimple
:InsécableSimple
«SimpleFine
»FineSimple
AucuneAucune
AucuneAucune
SimpleSimple
/AucuneAucune
ExpressionEspace entre
30 %Insécable
30 €Insécable
20 mInsécable
M. MartinInsécable
lundi 30Insécable
30 janvierInsécable
janvier 2020Insécable
page 20Insécable

Inclusion

Je refuse d’employer les doublets, qui sont au féminisme ce que la phrase « j’ai un ami noir » est à la lutte contre le racisme. Le débat sur le point médian ne fait pas avancer la cause de l’écriture inclusive. Il la fait même reculer, parce qu’il coupe l’écriture de la parole, et parce qu’il renforce la stricte conception binaire du genre. Or si l’on veut vraiment changer les représentations, il faut employer des ressorts qui peuvent s’appliquer partout et tout le temps, dans tous les registres de langue et tous les types de discours, à l’oral comme à l’écrit.

Je ne suis pas opposé par principe au masculin à valeur générique. Je l’emploie généralement pour désigner un groupe (« tous les voyageurs sont invités à descendre »), même si j’utilise parfois les formes épicènes (« les personnes concernées sont attendues à l’accueil »). J’emploie volontiers le féminin pour désigner une personne archétypique (« ma lectrice », plus haut), une forme de féminin générique qui participe au « rééquilibrage » linguistique.

Bien sûr, j’utilise le genre approprié dans un contexte plus spécifique (« la ministre est enceinte », pour reprendre l’exemple fameux). Je dois confesser un amour immodéré pour les formes marquant clairement le féminin : « autrice », « doctoresse », « mairesse ». Elles sentent le vieux français ? Tant mieux ! C’était une langue riche et inventive, qui n’avait pas encore subi le conservatisme mortifère de l’Académie.

Ces formes présentent l’intérêt d’être audibles. « La maire d’Antony est venue nous rendre visite » ne veut pas tout à fait dire la même chose que « la mère d’Anthony est venue nous rendre visite », mais la distinction est perdue à l’oral. Or je crois que la langue écrite doit refléter la langue orale : c’est la raison qui m’a poussé à adopter les rectifications orthographiques, et pour laquelle je finirai par me convertir à l’accord de proximité.

Italique

Je compose en italique :

  • les citations ;
  • les mots étrangers (donc les expressions latines) ; 
  • les titres d’œuvres culturelles (y compris les sites web et les jeux vidéos) ;
  • les éléments de menus (Fichier > Nouveau) ;
  • et enfin les mots sur lesquels je veux insister.

Un mot étranger dans une citation, pour ne citer qu’un exemple, repasse en romain.

Marques et produits

Les fabricants rivalisent d’imagination pour compliquer la vie des rédacteurs. Je respecte les graphies de marques et de produits qui s’apparentent au camel case (« iPhone », « QuickTime ») ou n’imposent qu’un seul changement de casse (« macOS »). J’ignore les graphies qui s’apparentent à des logos (« Moto Z2 Play » au lieu de « moto z2 play »).

Je respecte le genre des produits définis par le fabricant (« un iPad », alors que j’aurais envie d’écrire « une iPad » comme l’on dit « une tablette »). Lorsque le fabricant ne s’est pas prononcé, j’utilise le genre du nom commun décrivant le produit. J’évite d’utiliser des marques pour désigner des objets par métonymie, pour ne pas recevoir de courriers désagréables (« un charriot de supermarché »). En contrepartie, je n’emploie pas les symboles ™ et ©.

Notes marginales

Les références aux ressources accessibles sur le web prennent la forme de liens hypertextes. Les références aux livres (même numériques) et aux articles scientifiques prennent la forme d’une note marginale, comme les références aux ressources qui ne sont pas directement accessibles sur le web.

J’utilise généralement les notes marginales pour apporter des précisions, illustrer un point théorique par un cas pratique, ou préserver des réflexions anecdotiques. Les notes marginales complètent le développement sans le concurrencer, et doivent conserver un rôle… marginal. Ce qui ne les empêche pas d’être parfois aussi longues que l’article lui-même.

Paragraphes

L’idéal platonique du paragraphe-idée est difficilement tenable. Comme je préfère les paragraphes courts, d’une dizaine de lignes tout au plus, une idée peut courir sur plusieurs paragraphes. Cela étant dit, une nouvelle idée demande un nouveau paragraphe. Je DÉTESTE les paragraphes ne contenant qu’une seule phrase. À moins qu’il ne s’agisse d’un effet de style, une phrase seule n’est pas un paragraphe.

Parenthèses et tirets

Entre le tiret et la parenthèse, mon cœur balance. Le choix de l’un plutôt que l’autre est surtout une question de rythme : la lecture rebondit sur les parenthèses, mais bute contre les tirets. J’utilise souvent les parenthèses pour introduire des parallélismes ou des chiasmes. J’use et j’abuse du tiret final. Les phrases entre parenthèses devraient probablement être des notes marginales.

Préformatage

Je compose en chasse fixe :

  • les citations courtes de code informatique ;
  • les entrées de texte ;
  • les raccourcis clavier (⌘C) ;
  • les chemins de fichier (~/Documents/plan-secret.txt).

Je passe les longues citations de code informatique à la ligne, dans un bloc distinct :

body {
    background: white;
    color: black;
}

@media (prefers-color-scheme: dark) {
    body {
        background: black;
        color: white;
    }
}

Raccourcis clavier

Sur Windows et les principales distributions Linux, les touches composant les raccourcis clavier sont séparées par le signe « + ». Sur macOS, elles ne sont jamais séparées, ni par un « + » ni par un « - ». Les touches de modification sont distribuées dans leur ordre d’apparition sur le clavier, de haut en bas et de gauche à droite : d’abord, ensuite, puis , et enfin . J’écris donc ⇧⌘C, pas ⌘⇧C.

En cas de doute, il suffit de recopier les raccourcis tels qu’ils apparaissent dans les menus. Je n’utilise pas le nom des touches, qui n’apparaissent pas dans les menus, ne sont pas présents sur tous les claviers, et sont plus longs et moins clairs3 que les symboles. Je donne rarement un raccourci sans le menu correspondant, sauf en l’absence de menu correspondant, ce qui n’est plus rare.

Abréviations

  • 1er : premier, mais « 1re » pour première ;
  • 2e : deuxième, mais « 2d » pour second ;
  • Gb : gigabit en anglais, voir « Gbit » ;
  • GB : gigabyte en anglais, voir « Go » ;
  • Gbit : gigabit ;
  • Gbit/s : gigabit par seconde (1 Gbit/s = 0,125 Go/s) ;
  • Go : gigaoctet ;
  • Gbps : voir « Gbit/s » ;
  • Mpx : mégapixel ;
  • px : pixel.

Dire, ne pas dire

  • adaptateur : prise (mâle) vers fiche (femelle) ;
  • après que : est suivi de l’indicatif ;
  • CEO : sauf s’il est aussi le chairman of the board, le CEO est le directeur général, pas le président-directeur général ;
  • data center : plutôt que data-center, s’il faut éviter de répéter « centre de données » ;
  • internet : ne prend pas de majuscule ;
  • mini : les noms des déclinaisons miniaturisées des connecteurs suivent les mêmes règles que les autres noms composés, j’écris donc « microUSB » et « miniDisplayPort » ;
  • pliant/pliable : un objet est « pliant » s’il est articulé afin d’être plié, et « pliable » s’il peut être plié facilement, ce qui veut dire qu’une feuille de papier est pliable sans être pliante et qu’un ordinateur pliant n’est pas nécessairement pliable ;
  • rappel : on « se rappelle quelque chose », mais on « se souvient de quelque chose », on « se le rappelle », mais on « s’en souvient ».
  • web : ne prend pas de majuscule.

  1. Nicolas Boileau, L’art poétique (chant I), in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1966. ↩︎

  2. « Je n’ai fait celle-ci plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte », dans la seizième lettre aux révérends pères jésuites in Les Provinciales, Cologne, Pierre de la Vallée, 1657. ↩︎

  3. La touche est-elle la touche « Option », ou la touche « Alt » ? Les puristes répondront : « Option, comme sur le clavier M0110 du Macintosh original ! ». Sauf que cette touche a longtemps porté une double légende — même le sacrosaint Apple Extended Keyboard II possède une touche « Alt/Option ». De la même manière, la touche est moins connue comme la touche « Commande » que comme la touche « Pomme ». Dans les deux cas, les symboles ont été généralisés dans les dernières années, et les touches sont systématiquement légendées. ↩︎