Image Taylor Swift.
Cartel Mère no 6

Spotify n’est pas la radio du XXIe siècle

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Taylor Swift n’a pas retiré ses albums de Spotify comme d’autres se découvrent une passion pour le vinyle. Déjà en 2012, la chanteuse avait privé Rhapsody de son album Red. « L’impact cumulé des lectures en streaming sur [plusieurs] années l’emporte et continuera à l’emporter sur l’impact d’un seul téléchargement », prétendait à l’époque un service qui n’était pas assuré de voir ce futur. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », avait répondu en substance la seule chanteuse qui a vendu quatre millions d’exemplaires de quatre albums à la suite.

Un argument qu’elle a affûté au cours de ces deux dernières années. « La musique est un art, et l’art est important et rare », expliquait-elle cet été dans les colonnes du Wall Street Journal : « les choses rares et importantes ont de la valeur. Et l’on devrait payer pour les choses qui ont de la valeur. Je pense que la musique ne devrait pas être gratuite, et j’estime que c’est aux artistes et aux labels de déterminer le prix d’un album. » Elle est encore plus claire dans une interview donnée à Time :

Je pense que l’on devrait attribuer une valeur intrinsèque aux productions artistiques. Je n’avais pas l’impression que c’était le cas lorsque ma musique était sur Spotify. Tout le monde se plaint de la chute des ventes de musique, mais personne n’y change rien. Ils accourent encore et encore vers le streaming, qui est en grande partie responsable de la chute des ventes d’album.

Avec Beats Music et Rhapsody [NdR : revenu en grâce à la faveur d’une remontée de ses paiements par lecture], vous devez vous abonner à une formule payante pour accéder à mes albums. Cela confère une valeur à ce que j’ai créé. Sur Spotify, tout le monde peut accéder à toute la musique sans aucune restriction. Je pense que les gens devraient ressentir la valeur de ce que les musiciens ont créé.

Une histoire de gros sous ? Sans doute pas, ou du moins pas seulement. Spotify a versé plus de deux millions de dollars à Taylor Swift l’an dernier — l’équivalent de 50 000 albums « seulement », mais une somme qui montre l’importance grandissante des services de streaming, dont les revenus ont dépassé ceux du téléchargement en France. Et on peut toujours écouter 1989 gratuitement sur des services comme Pandora ou iTunes Radio.

C’est que la chanteuse insiste moins sur la valeur pécuniaire de la production artistique que sur la « perception » de cette valeur. Le compte n’y était pas avec Rhapsody en 2012, le compte n’y est aujourd’hui pas avec Spotify. Taylor Swift les compare à l’album, quand ces services de streaming actif se comparent à la radio, une appellation que leur disputent des services de streaming passif comme Pandora et iTunes Radio, canaux de découverte concurrencés… par YouTube !

Comme le faisait justement remarquer Neil Young, et pour reprendre la formule de Stewart Brand, la musique veut être libre. Les ondes radio assurent depuis longtemps sa circulation… et sa capture sur cassette. Mais alors qu’il fallait guetter le moment où l’on pourrait enregistrer une source de mauvaise qualité sur un support peu fiable, on peut désormais trouver en un clic de la musique de bonne (légalement) ou d’excellente (illégalement) qualité.

Il ne peut plus y avoir de conversion à l’achat dès lors que le « média musique » n’a plus de valeur. Or en louant un droit à l’écoute sans perturbations plutôt qu’un réel usufruit sur un catalogue musical sans cesse mouvant, les services de streaming déportent la valeur… sur la publicité. L’achat n’est plus un acte positif permettant de jouir à loisir d’une œuvre et de son support, mais un acte négatif permettant de se débarrasser de parasites sonores.

Si le streaming est foncièrement mauvais, quoique de plus en plus rémunérateur, faut-il se tourner vers une nouvelle forme de distribution de la musique ? D’aucuns objectent que la solution précède la création de l’album : c’est la distribution directe et synchrone, autrement dit le concert. Mais pour un Phish, il y a cent Pomplamoose, des groupes dont le succès d’estime ne se traduit pas en succès financier.

Une solution en trompe-l’œil donc… qui ne profiterait qu’à des artistes comme Taylor Swift.