Pourquoi je ferme mon compte Google
Google n’a qu’un seul produit, la publicité, et qu’un seul modèle économique, la maximisation de l’affichage de ces publicités sur le plus grand nombre de supports. Ce modèle est si fragile qu’il l’empêche aujourd’hui d’innover et l’oblige à courir après toute société pouvant mettre en péril son activité.
L’iPhone crée un nouvel écran sur lequel Google n’est pas présent ? Android est offert aux concurrents d’Apple gratuitement, pour placer de la publicité dans les poches des utilisateurs comme le cheval est entré dans Troie. Facebook crée un internet parallèle dans lequel Google n’a pas droit de cité ou presque ? Google+ est conçu comme un service incontournable, imposé à l’utilisateur dans tous les services de la firme de Mountain View — qu’il le veuille ou non — pour tenter de rendre Facebook obsolète.
La publicité a perverti Google, et je crois que le jeu n’en vaut aujourd’hui plus la chandelle. Je ferme donc mon compte Google (ouvert en 2005, lorsqu’il fallait encore être coopté pour en avoir un) et mes comptes Google Apps (que je paye depuis des années).
Je pouvais encore supporter la personnalisation des résultats offerts par Google lorsque je pouvais l’ignorer : apprendre qu’un ami a parlé de ce lien sur Twitter ou lui a mis « +1 » sur Google+ me fait une belle jambe. L’intégration forcée (forcenée, même) de Google+ dans les résultats de recherche, au point de les empoisonner, a bien vite rempli la coupe. Google « Search, Plus Your World » est certes en partie débrayable, mais la plupart de ses fonctions sont imposées et présentées même à l’utilisateur qui n’a pas de compte Google. Un utilisateur qui se fiche de savoir qui est sur Google+ et ce qu’il s’y dit, mais il serait dommage que pour la centième fois de la journée, la firme de Mountain View ne lui rappelle pas l’existence de son réseau social.
Pour l’utilisateur connecté, « Search, Plus Your World » représente un véritable danger : Google Search n’est plus un métamoteur de recherche, c’est un moteur de recherche de contenus soumis par vos amis et connaissances. Il ne permet plus de découvrir des ressources sur le web, parfois au hasard, mais réduit progressivement votre univers à des cercles de plus en plus fermés. Je devrais sauter au plafond de voir arriver les fameuses « bulles de l’Internet » que je ne cesse d’évoquer, mais leur implémentation par Google combine la tyrannie d’une majorité à l’avis aussi changeant que manipulable (vos connaissances Google+, qui ne cessent de faire grossir la bulle) à la dictature d’un programme omniscient et omnipotent (Google, qui ne fait jamais éclater les bulles).
La frontière entre l’informatique pervasive et l’informatique invasive est très fine, et à mon avis, Google l’a franchie.
Allègrement, même : les nouvelles règles de confidentialité de Google, qui entreront en vigueur le 1er mars prochain, sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elles ont officiellement été créées pour être plus facilement compréhensibles par l’utilisateur moyen, qui n’aura plus qu’à lire un document de référence « plus concis et plus clair » plutôt qu’un contrat pour chacun des 70 services de Google. Les explications de la firme de Mountain View ne cachent cependant pas le véritable but de ces nouvelles règles : centraliser les informations disséminées sur les différents services en un seul profil, qui sera utilisé pour « fournir des publicités ciblées plus pertinentes ».
Selon une étude certes pas tout à fait désintéressée, chaque utilisateur offre à Google l’équivalent de 50 et 5 000 $ en données personnelles par an. Je n’ai aucun problème avec ça : je sais qu’avec Google, je suis le produit, et que je paye les services offerts en données personnelles. Cela ne m’empêche pas de toujours peser la balance entre l’utilité des services, leur facilité d’accès et d’utilisation, et le prix que j’ai à payer pour les utiliser. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui les services Google valent 5 000 $, et que je ne puisse pas trouver aussi utile mais moins envahissant (surtout après ces nouvelles règles de « confidentialité ») pour moins cher.
Après avoir longuement réfléchi aux alternatives possibles, j’ai donc fermé mon compte Google.
Je sauvegarde régulièrement mes courriels, mais j’ai tout de même effectué une sauvegarde supplémentaire et finale avec BackUp Gmail. J’héberge désormais moi-même mon courriel personnel : le paramétrage complet et les tests m’ont pris une bonne journée, et le coût est compris dans l’hébergement de mes sites et applications web. YouTube va me manquer : je ne peux pas utiliser mon compte, pourtant ouvert en 2005, sans le lier à un compte Google — je n’ai donc plus accès à mes vidéos et à mes abonnements. Je me contenterai de suivre manuellement mes créateurs favoris, et utiliserai mon propre serveur si j’ai besoin de diffuser des vidéos sur le web (idem pour les photos, même si j’utilise aussi Flickr, qui appartient à Yahoo!).
J’ai toujours préféré Bing Maps à Google Maps, j’utilise iCloud pour la synchronisation de mes contacts et calendriers (avec l’espoir de rapatrier ça un jour sur mon serveur aussi), et mes documents sont dans une image disque sécurisée sur ma Dropbox. Je ne pourrai par contre jamais me passer de Google Search : même s’il se dégrade de jour en jour, il reste le meilleur moteur de recherche de la planète. J’utilise néanmoins les extensions Focus on the User, AdBlock (en le désactivant sur les sites que je lis qui ne proposent pas de formule payante), et j’ai activé la fonction Do Not Track pour retrouver un semblant de tranquillité.
Je ne suis pas un anti-Google primaire : certains des services de la firme de Mountain View sont indispensables parce qu’ils sont bons. Mais puisque la promesse de départ (« Don’t be evil ») n’est plus respectée, je vais m’en détourner de plus en plus. Je ne vous invite pas non plus à en faire autant par pure idéologie : pesez le pour et le contre, jugez, et prenez votre décision en votre âme et conscience. Je ne me fais néanmoins aucune illusion : rien n’arrêtera l’évolution de Google en une immense sangsue pompant tout ce qu’elle peut.