Le non-droit du citoyen
« Et si je dis non ?
— On appellera le directeur du bureau, et vous attendrez dans le couloir le temps qu’on fasse venir la police. »
L’agent de sécurité en gilet jaune, qui semblait s’être perdu après un soir de match, sait que je ne peux pas m’opposer à une inspection visuelle de mon sac1. Mais il semble ignorer qu’il ne peut vérifier ses multiples compartiments fermés sans mon consentement2, pas même en présence du pauvre officier de police judiciaire qu’il aurait fait déplacer un dimanche midi3, tout ça pour trouver un couloir vide et mon bulletin dans l’urne4.
Un coup de vent lui a rappelé qu’il avait froid, et a porté le souvenir du fumet du poulet rôti du marché voisin, qui m’a rappelé que j’avais faim. Mes molles protestations sont passées au-dessus de son mètre soixante-quinze, ses mains n’ont pas approché mon sac, et nous avons tous les deux passé une bonne journée. Reste que la présence d’un obstacle entre le citoyen et l’urne est préoccupante, même dans ces circonstances exceptionnelles, surtout dans ces circonstances exceptionnelles5.
D’abord parce que cette présence pseudo-policière est dérisoire : le gilet jaune n’est pas un gilet pare-balles. Ensuite parce qu’elle renforce l’hystérie sécuritaire qui domine le débat politique : on inscrit dans l’espace public les obsessions de la droite extrême et de l’extrême-droite, on joue à se faire peur à 50 mètres d’un bureau de vote. Enfin parce que son exercice est illégal : on conditionne l’exercice de mon droit le plus précieux à une violation d’une de mes libertés les plus fondamentales.
Mon vote n’est pas contraint, mais il n’est pas tout à fait libre. Comment s’étonner, dans cette ambiance paranoïaque et anxiogène, que les minuscules enveloppes bleues ne couvrent même pas le fond de l’urne, mais qu’une certaine pile de bulletins soit déjà bien entamée ?
« Les personnes physiques exerçant l’activité mentionnée au 1° de l’article L. 611-1 peuvent procéder à l’inspection visuelle des bagages à main », article L613-2 du Code de la sécurité intérieure. ↩︎
« et, avec le consentement de leur propriétaire, à leur fouille », article L613-2 du Code de la sécurité intérieure. ↩︎
« Seul un OPJ ou un gendarme peut fouiller dans les effets personnels d’une personne en cas de flagrant délit, de commission rogatoire ou d’enquête préliminaire », comme le rappelle la Direction de l’information légale et administrative. ↩︎
L’agent de sécurité n’aurait pas pu invoquer l’article 73 du Code de procédure pénale pour justifier ma retenue, ma vague connaissance de mes droits n’étant pas encore un « cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement ». ↩︎
En d’autres temps, de pareilles circonstances avaient provoqué le report des élections générales en Algérie française, faute de pouvoir assurer « le déroulement d’opérations électorales libres et sincères. » Ce parallèle a d’ailleurs motivé le dépôt d’un recours en annulation des élections régionales auprès du Conseil d’État. ↩︎