L’année 2021 en mots
Faute d’avoir la moindre envie de forcer mon introversion naturelle pour voyager auprès de narcissiques qui se masquent le cou ou diner en compagnie de sociopathes qui falsifient leur passe sanitaire, je passe le plus clair de mon temps libre à lire et remplir des grilles de mots croisés. À chacun sa misanthropie, je suppose, mais la mienne me permet de continuer à apprendre de nouveaux mots.
Quantième (6 janvier). « Le quantième sommes-nous ? » m’avait demandé une agente des allocations familiales, dans ce délicieux sabir que je croyais réservé à l’administration française. Il se trouve que les compatriotes de notre voisine (et néanmoins amie) belge utilisent aussi ce mot, dans une acception similaire à notre « combientième », comme elle s’est empressée de nous l’expliquer devant notre mine interdite alors que nous nous souhaitions fort naïvement de passer une bonne année.
Trâlée (27 janvier). Un québécisme pour parler d’un groupe de personnes, comme la « trolée » de la langue d’oïl, qui n’a rien à voir avec la palanquée de trolls que l’on trouve dans les forums. Ce mot peut être utilisé dans un sens plus imagé, comme la « trâlée de journaux » ouverte par Bruno Dewaele.
Aquamation (1er mars). Ce procédé d’hydrolyse alcaline en phase aqueuse utilisé pour éliminer les restes des animaux d’abattoirs, croisé dans Le magasin du monde, est maintenant utilisé pour… dissoudre les cadavres. Un juste retour des choses ?
Biffin (10 mars). Dans le sens de « chiffonier », ce qui convient fort bien au torchon qu’est devenu Lyon Mag, vous me permettrez de faire l’économie d’un lien.
Rétentat (26 mars). Le rétentat, dit le décret nᵒ 2003-1148 du 28 novembre 2003 portant application de l’article L. 214-1 du Code de la consommation, est « le produit obtenu après concentration des protéines du lait par ultrafiltration du lait. » Bref, j’ai regardé un documentaire sur la fabrication des fromages à l’échelle industrielle.
Noria, noliser, thridace (23 mai). Le dictionnaire regorge de mots équivoques qui font le bonheur des verbicrucistes. Le premier ne désigne pas seulement une suite ininterrompue de véhicules, mais aussi une machine hydraulique à godets. Le deuxième est un synonyme de « fréter », le déclic est venu par l’intermédiaire du vracht néerlandais, que je venais de lire dans un article sur les vélos cargos. Le troisième se rapporte à la substance obtenue en faisant évaporer le suc de laitue, quelle étrange idée.
Tan (30 mai). Du chêne gaulois (tanno) au cuir italien (tanné), il y a cette écorne réduite en poudre.
Sapiteur (22 juin). Un expert chargé d’estimer la valeur des marchandises d’un navire, ou bien cet entrepreneur tentant de justifier la facture exorbitante du colmatage du toit de notre copropriété.
Rue (7 aout). Une plante vivace malodorante, qui met « du jaune dans les prés », comme dit souvent Philippe Dupuis.
Sétons (21 aout). Des crins passés sous la peau pour drainer une plaie suppurante, ne faites pas l’erreur de chercher des images, comme je l’ai fait après une grille de mots croisés.
Sophora (23 octobre). Un genre de petits arbres des régions chaudes, apparentées aux légumineuses, dont les faux airs de faux acacia apparaissent dès les premières pages de Je remballe ma bibliothèque.
Cretonne (8 décembre). J’avais l’image d’un voilage transparent en tête, mais Manuel Vázquez Montalbán corrige mon erreur dans Le tueur des abattoirs, où cette toile de coton très épaisse fait une apparition annonciatrice.
Trottin (17 décembre). Un mot masculin, comme tant d’autres termes dénigrant les petits choux et les petits sucres qui troublent la bonne marche du monde, désignant l’apprentie couturière chargée de faire les commissions, et puis au pas de course s’il vous plait.