Montre, montre
Les citoyens de l’ecclesia gardaient un œil sur la clepsydre, les moines gardaient l’oreille sur leurs cloches. Les commerçants et les industriels portaient leur montre au gousset, les soldats la portaient au poignet. La nature vit hors du temps, la société n’est qu’une succession de temps : le temps pour penser, le temps pour prier, le temps pour travailler, le temps pour mourir.
Repenser la montre, c’est repenser une représentation du temps. Les patraques ralentissent le temps au point de le stopper, les montres connectées le compresseront au point de l’abolir. Une petite vibration pavlovienne pour vous rappeler votre devoir de connexion permanente — il ne faudrait pas oublier d’être productif à toute heure, de parler sans rien avoir à dire, d’acheter avant d’avoir eu le temps d’y penser. Il était de bon ton de tourner sa langue sept fois dans sa bouche ? Il sera interdit de ne pas être spontané. Les synthèses vocales et les claviers « intelligents » parleront et écriront à notre place, produisant un altertexte qui déformera jusqu’aux idées elles-mêmes.
Avec son mouvement automatique, ma montre se nourrit de mon énergie… jusqu’à ce que je l’enlève. Ces toquantes nouvelle génération en forme de menottes dorées en deviendront peut-être maîtresses.
On compte le temps parce que notre temps est compté. « Tu es né à 15 h 20, c’est ton 27e anniversaire, tu mourras dans 586 mois. » Accélérons le temps, comme si cela pouvait repousser l’Échéance. Dans les clochers, dans la poche, sur le poignet, nous avons le temps dans la peau et bientôt sous la peau ; nous comptons, au nom de l’efficacité, et nous mourrons, sur l’autel de la productivité.