Lentement no 11

Lentement (11)

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Au moment où je pense lancer un nouveau podcast, quatorze ans après le premier et huit ans après le dernier, Spotify s’offre le podcast le plus populaire de la planète. Comme Netflix, Spotify se bat contre l’horloge. Un abonné qui écoute un podcast (un produit au cout prévisible exclusif à Spotify), c’est un abonné qui n’écoute pas de musique (un produit au cout variable disponible ailleurs).

En exigeant la création d’un compte, Spotify va pouvoir amasser des pétaoctets de données comportementales et construire les sacrosaints « segments ». Elle pourra même faire ressortir des liens entre tel ou tel podcast et tel ou tel genre musical… et tel ou tel état d’esprit. Anchor assure un flux constant de nouveaux podcasts, pour collecter encore plus de données, et diffuser des publicités distribuées par Spotify.

Spotify exécute une superbe stratégie de pincement, depuis le bas avec son catalogue de podcasts exclusifs et depuis le haut avec ses outils de création. Ce faisant, elle va forcer d’autres acteurs à sortir du bois, notamment Amazon (qui peut jouer un coup avec Audible et Alexa) et Apple (qui reste encore un acteur « neutre » du marché qu’elle structure avec son catalogue de référence).

L’enjeu est aussi simple que décisif : il s’agit de savoir qui privatisera le podcast, de la même manière que Google a privatisé la recherche et Facebook a privatisé le graphe social, en privatisant les canaux de monétisation du podcast. Un monopsone supplémentaire, dans un monde qui se concentre aveuglément sur les monopoles…

Regarder

Monk (Andy Breckman/Amazon Prime Video). J’allais écrire qu’on ne referait probablement plus ce genre de séries, mais The Good Doctor prouve que la fascination malsaine pour les personnages neuroatypiques censés transcender la réalité accessible au commun des mortels a la vie dure. Capacitiste au possible, incohérent d’une saison sur l’autre, Monk est un cliché de série américaine « formulaïque ». Mais Tony Shalhoub est un formidable acteur, comme son rôle dans The Marvelous Mrs Maisel le rappelle encore.

Nanette (Hannah Gadsby/Netflix). Cela commence comme un spectacle de stand-up, et cela finit comme une charge politique contre la société patriarcale. Inconfortable, dérangeant, stimulant.

Baron noir (Éric Benzekri/Jean-Baptiste Delafon, Canal+). Ma femme a passé les deux premières saisons, qui donnent l’impression d’avoir été tournées par des étudiants en ciné devant cocher une liste de clichés visuels, à critiquer la photographie. Plus ramassée, plus subtile, plus dense, plus sensible, la troisième saison est aussi plus mure sur ce plan. Un changement d’autant plus bienvenu que le scénario concocté par Éric Benzekri, Raphaël Chevènement, Olivier Demangel, et Thomas Finkielkraut est étourdissant1.

Écouter

Bach : Cantatas, vol. 12 (Bach Collegium Japan/Masaaki Suzuki). Un premier tube, Herz und Mund und Tat und Leben (BWV 147). La transcription pour guitare classique du choral, « Jesus bleibet meine Freude, Meines Herzen Lust und Saft », est l’une de mes pièces favorites, que je joue au moins une fois par mois.

Reptile (Eric Clapton). « À mon sens, rien ne vaut Reptile, quand je foule tranquillement la piste, le matin », dit Haruki Murakami. Je suis bien d’accord. Même si je ne cours pas.

Lire

Après plusieurs mois d’hésitation, j’ai finalement résilié mon abonnement au Monde2, ce gramophone Pathé-Marconi qui refuse de porter un regard critique sur l’actualité, et tombe ainsi dans les excès de la prétention à l’objectivité. Le « journal de référence » trahit la confiance de son lecteur lorsqu’il participe activement au relativisme ambiant, surtout dans cette période troublée.

Je garde une grande sympathie pour La Croix, qui prend souvent le contrepied de l’actualité, mais Le Monde diplomatique me fournit déjà une « contre-programmation » journalistique. Je respecte profondément Le Figaro, seul canard français saisissant pleinement les enjeux du numérique, mais je refuse de donner le moindre centime à la caisse de résonance des pires idées de la droite extrême et de l’extrême droite.

Pour le moment donc, je me suis rabattu sur Libération, moins un journal qu’une collection de rubriques. Aux blogueurs le flux du direct, aux journalistes la vérification de l’information et la contextualisation, aux experts les entretiens et les analyses, le mélange fonctionne plutôt bien. Et puis la rubrique « Food », tout particulièrement les papiers de Jacky Durand, est délicieuse.

Je regrette presque d’avoir terminé L’enracinement de Simone Weil, alors que la dernière partie de Champs Élysées : Histoire et perspectives ne pouvait pas se terminer assez tôt. J’ai bien entamé Les noms d’époque, prélude aux semaines estivales de travaux historiques, et j’ai commencé à écoulire Permanent Record. Par ailleurs, je retiens ces articles :


  1. Je remarque au passage que cette série est une superbe démonstration du petit entre-soi médiatique parisien. On n’y croise — logiquement — pas une seule personnalité politique réelle, mais tout le cénacle habitué des plateaux défile (jusqu’à Edwy Plenel !), avec un talent certain pour la mise en scène du spectacle de l’information. ↩︎

  2. Par lettre recommandée avec accusé de réception. En 2020. ↩︎