Le jour d’après no 17
Le jour d’après (17)
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Quelques remarques au sujet du keynote d’ouverture de la WWDC 2022 :
- lorsque le mot « pandémie » appartenait encore aux livres d’histoire, la WWDC accueillait plus de 5 000 développeurs. La pandémie n’est pas encore de l’histoire ancienne, mais Apple a invité plus de 2 500 personnes1.
- tout le monde a vu le même keynote, mais les développeurs ont eu le privilège d’une brève introduction par Tim Cook en personne, et l’avantage d’une poignée de minutes d’avance sur la retransmission publique. Apple a construit un nouveau bâtiment pour accueillir les concepteurs d’applications tout au long de l’année, mais diffuse ses tech talks en ligne, et porté un soin particulier au swag distribué aux invités, mais transformé ses keynotes en superproductions publicitaires coutant plusieurs millions de dollars. Je ne peux pas croire qu’elle reviendra au statu quo ante.
- la puce M2 surclasse toute l’industrie, sans la moindre surprise. Vous me permettrez de réserver mon enthousiasme pour le système M2 Extreme du futur Mac Pro, il faut savoir gérer son effort.
- le MacBook Air adopte le langage visuel des MacBook Pro 14" et 16", et non celui de l’iMac 24". Comme quoi, il ne prossert à rien d’écouter les niaiseux qui s’épanchent sur les réseaux asociaux, sans autre indication que le sens du vent et le gout du clic.
- le MacBook Pro 13" est la deuxième machine la plus populaire du catalogue, et surtout l’une des machines les plus rentables de l’industrie, la vache à lait de la gamme Mac. Sa relative banalité finance le raffinement extrême des autres machines, et bien des fabricants aimeraient proposer des machines aussi « passable ».
- l’application Météo est enfin, enfin, ENFIN, disponible sur iPadOS et macOS. Best WWDC ever.
- vous direz que j’exagère, mais la fusion des Préférences Système de macOS Ventura dans le moule de l’application Réglages d’iOS 16 par le truchement de SwiftUI concentre les pires défauts du mouvement d’intégration fonctionnelle des plateformes. Les Préférences Système représentaient une certaine manière d’organiser la complexité : les rubriques contenaient des sections, qui renfermaient des contrôles segmentés, qui comportaient des boutons et des listes et des curseurs. Les Réglages représentent une certaine manière de bordéliser la confusion : les rubriques contiennent des listes interminables, dont les fonctions sont cachées derrière de minuscules boutons (i), à moins qu’il ne s’agisse d’une liste invisible avant le survol du curseur, à moins qu’il ne s’agisse d’une fenêtre modale. Le raffinement des interfaces est sacrifié aux nécessités techniques — en fait aux conséquences des dysfonctionnements organisationnels de l’entreprise la plus riche du monde qui se conçoit toujours comme une succession de start-ups. En confondant le minimalisme avec l’ascèse, Alan Dye retire toute capacité de l’interface à suggérer son usage. Je vais devoir passer l’été à trouver des trésors linguistiques pour expliquer derrière quel bouton invisible se cache une fonction cruciale.
- vous direz que j’exagère, mais Stage Manager concentre les meilleures qualités du mouvement d’intégration fonctionnelle des plateformes. Qui comprend encore la métaphore du bureau ? Qui range encore ses fichiers selon les règles d’une nomenclature établie avec l’aide d’une archiviste ?2 L’informatique doit renouer avec sa promesse originale, abstraire la complexité pour nous libérer des machines, assembler les fenêtres et trier les fichiers pendant que nous travaillons et créons. Nous n’en sommes toujours pas là, et les efforts des spécialistes de l’intelligence artificielles sont gâchés en générateurs de mèmes et robo-scalpers de NFT, mais Stage Manager reprend la réflexion. En poussant l’organisation fonctionnelle, Tim Cook fait collaborer des forces contraires, qui doivent remettre en cause leurs certitudes pour trouver des compromis régénérateurs. Je vais devoir passer l’été à contenir mon enthousiasme pour cette fonction qui semble très utilitaire, mais procède d’une formidable intuition créatrice.
- je ne sais pas s’il faut dire que Stage Manager apporte la logique de l’iPad à la gestion des fenêtres sur macOS, ou s’il apporte la logique du Mac à la gestion des fenêtres sur iPadOS. Tout ce que je sais, c’est que je vais avoir du mal à choisir entre un MacBook Air et un iPad Pro pour remplacer la machine utilisée lors des formations d’éducation aux médias de l’association Zinzolin. Le Mac conserve l’avantage d’une plus grande flexibilité logicielle, avec son environnement de bureau et son invite de commandes, tandis que l’iPad conserve l’intérêt d’une plus grande flexibilité matérielle, avec son clavier détachable et son stylet. Mais la distinction est-elle bien évidente pour tout le monde ?
- les widgets qui prennent place sur l’écran de verrouillage de l’iPhone ne sont pas seulement inspirés des complications qui prennent place sur les cadrans de l’Apple Watch, mais sont des complications, les deux éléments partageant la même architecture. Je ne peux pas m’empêcher de voir les nouvelles possibilités de personnalisation comme une marque de l’absence de Jony Ive : les choix esthétiques ne descendent plus seulement du haut, qui impose une vision du « bon gout » supposé, mais viennent aussi du bas, qui peut trouver un plaisir dans un « mauvais gout » manifeste. Apple reste maitresse de la mécanique, bien sûr, mais prévoit qu’elle ne peut pas tout prévoir3. Et accepte que la disharmonie, le contraste, le moche même, soient des échappatoires valides à l’angoisse existentielle d’un monde qui peine tant à concevoir son avenir qu’il se complait dans une célébration acidulée des années 1990.
- « L’iPhone devient une Apple Watch », disais-je. L’iPhone peut être vu comme une grande Apple Watch, et l’Apple Watch comme un petit iPhone, les frontières se brouillent aussi à cette extrémité de la gamme. Tant que CarPlay ne ressemble pas à tvOS…
- alors que les rumeurs assuraient que Tim Cook présenterait un casque de réalité augmenté, Apple n’a dit mot de la réalité augmentée. Ce silence contraste avec l’annonce très précoce de la future version de CarPlay, qui lève le voile sur un pan du projet Titan. Qu’est-ce que cela signifie ? Si seulement j’avais des lunettes pour y voir plus clair !
- Arnaud et moi reviendrons sur ces annonces en détail dans le prochain épisode du podcaaast. Abonnez-vous !
D’après mon comptage approximatif des chaises « Hiroshima », dessinées par Naoto Fukasawa et produites par Maruni, réparties de part et d’autre des portes monumentales du Caffè Macs. À 1 790 € l’unité, Apple a dépensé près de cinq-millions d’euros en chaises. ↩︎
À part moi, je veux dire. ↩︎
Mais je réclame toujours un « Watchface Studio » pour concevoir mes propres cadrans à partir des briques proposées par Apple. ↩︎