Après que
L’usage du subjonctif ne cesse de régresser, mais les lecteurs de MacGeneration font du zèle, et veulent absolument l’associer à l’expression « après que », jusqu’à faire déborder ma boîte mail. De quoi me rappeler l’hypokhâgne, où notre professeur de philosophie m’avait sévèrement tancé devant mes quarante et quelques camarades après que j’ai utilisé malencontreusement utilisé le subjonctif après cette expression. « Que j’ai utilisé » et non « que j’aie utilisé » : quelques années plus tard, le souvenir est encore vif, et mon usage grammaticalement correct de l’indicatif est comme une seconde nature.
Patrick Dupouey, double agrégé de philosophie et de biologie et à ce titre un héros personnel, aurait pu à cette occasion lancer un débat qui nous aurait occupés quelques heures : qu’est-ce qu’une langue ? C’est au final la question sous-jacente à la défense de l’indicatif post-aprèsquoquial. La langue est un ensemble codifié de signes (linguistiques, gestuels, etc.) permettant la communication entre individus.
Cette codification, le jeu strict de règles régissant l’expression de la langue, est condition première de la réalisation de la communication : elle garantit l’intégrité du signifiant par delà la possible équivoque du signe. Elle permet la parole au sens saussurien, le logos biblique qui permet d’appréhender la réalité perçue et de s’approcher de la vérité immanente et transcendante : « au commencement était la parole, et la parole était avec Dieu, et la parole était Dieu. »
Mais nos langues sont loin de cette permanence : naturelles, elles ont évolué depuis des babils antérieurs qu’elles ont fait renaître sous une forme plus parfaite ; vivantes, elles se sont dissoutes dans de nouveaux idiomes pour mieux affronter les outrages du temps. Les langues sont la plus parfaite illustration de notre histoire en tant qu’espèce, de la simple manifestation de nos convulsions gutturales au triomphe raisonné de nos pensées transformées en actions par l’expression du langage.
Si les lecteurs de MacGeneration sont une majorité à privilégier le subjonctif, ne suis-je pas dans l’erreur en refusant la communication par mon attachement au code au mépris des codes, de l’immutabilité synchronique au dam de la mutabilité diachronique ?
Oh ! Tôt ce matin les yeux dans mes Ray-Ban
Après que j’eus décroché les groupies et les fans
Collés aux électrons de ma clôture haute-tension
Joyeux comme des flippés qu’on vient d’électroniquer
Oh yeah !
J’ai sorti mes poubelles, hélas au milieu desquelles
Étaient en train de fouiller quelques personnalités
Que nous connaîtrions si nous avions la télévision
Puis j’ai ouvert ma première bière en me demandant
Si les morts s’amusaient autant que les vivants
— Hubert-Félix Thiéfaine, 24 heures dans la nuit d’un faune.
Qu’importe la logorrhée face à cette expression la plus pure de la vérité permanente du dogme de l’indicatif suivant « après que » : si Thiéfaine le dit, c’est. Dupouey aurait sans détesté cette conclusion anti-climacique, mais c’est sans doute pour cela que je n’ai pas fait de vieux os en prépa.