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Un petit gâteau sucré

Dolores Redondo — Le gardien invisible

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Un guide britannique m’a donné envie de lire des auteurs espagnols, alors j’ai sauté sur la recommandation d’un ami français alors que nous discutions de nos étudiants burkinabés en mangeant dans un restaurant italien. Parfois, la mondialisation a du bon. Mais bien que l’inspectrice Salazar ait fait ses classes aux États-Unis, la mondialisation semble avoir oublié ce bout de Navarre qui donne son nom à la trilogie du Baztan, dont Le gardien invisible est le premier tome.

L’air est saturé par la bruine d’un printemps qui n’est pas tout à fait sorti de l’hiver, les rais qui percent la ramure des hêtres ne laissent pas distinguer les pierres parmi la mousse, les ombres semblent s’agiter parmi les infinies nuances de vert et d’ocre, un petit gâteau sucré est déposé sur le pubis des victimes tout juste sorties de l’enfance. Je n’ai jamais mis les pieds dans ce bastan1, mais je connais ses ruelles détrempées et ses toits moussus, ses croyances populaires et ses querelles familiales, ses miracles quotidiens et ses drames séculaires.

J’ai grandi dans un coin reculé et tous les coins reculés se ressemblent, certes, mais il faut bien dire que Dolores Redondo sait planter le décor… jusqu’à l’excès. L’héroïne devait-elle vraiment prendre l’air en pleine nuit ? Un personnage secondaire méritait-il vraiment une biographie de trois pages ? Cela ne fait pas avancer l’intrigue d’un pouce, mais l’autrice basque ne résiste jamais à l’envie de prouver qu’elle a bien étudié l’histoire et la géographie des lieux, comme si elle n’avait jamais quitté les bancs de l’université de Deusto.

Redondo maitrise pourtant le principe du fusil de Tchekhov quand elle plante un détail qui permet au lecteur attentif de résoudre l’affaire bien avant l’inspectrice. Le mystère s’épaissit à mesure que la pelote se déroule, les fausses pistes deviennent les bonnes… et les digressions deviennent de plus en plus pénibles. Le gardien invisible se dénoue avec une intervention d’un deus ex silva si peu convaincante qu’elle m’a fait douter avant d’acheter les deux tomes suivants.

Mais voilà, j’aimerais savoir si un roman policier peut aussi être un roman historique peut aussi être un roman familial peut aussi être un roman fantastique. Salazar revit les drames de son enfance lorsqu’elle ferme l’œil, alors peut-être voit-elle des choses lorsqu’elle perd son regard dans les recoins sombres de la forêt navarraise. Redondo imagine des crimes censés montrer la noirceur de l’âme humaine, alors peut-être s’est-elle convaincue que la bonté ne peut être que surnaturelle.

L’un serait plus décevant que l’autre — mais lequel ?


  1. Un « lieu sauvage et isolé »↩︎