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Jean-Yves Mollier — L’âge d’or de la corruption parlementaire (1930-1980)

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Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Jean-Yves Mollier est un expert de l’histoire de l’édition, mais fait l’erreur de croire que son lecteur l’est aussi. J’ai beau être historien et journaliste, je ne suis spécialiste ni de la IVe République ni de la librairie Hachette, et j’ai dû m’accrocher pour arriver péniblement à la dernière page de ce bouquin décousu et répétitif. Et puis je suis revenu à la couverture avec surprise et agacement : ce livre ne couvre pas vraiment la période 1930-1980, mais s’attarde très longuement sur les trois années (certes cruciales) suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale, ni ne montre vraiment le rôle de la librairie Hachette dans la corruption parlementaire, faute de preuves solides.

Notes

Sur le statut des entreprises de presse :

Tous ces faits, largement commentés dans la presse et à la radio, avaient alimenté la réflexion des résistants, qui entendaient mettre en place, à la Libération, des institutions qui empêcheraient le retour de la corruption, et donc des « affaires ». Pour y parvenir et donner corps à leur programme, ils avaient décidé de revoir le statut de la presse et celui de la distribution. Pour que la première échappât aux forces de l’argent qui la dominaient dans les années 1930, il faudrait interdire à un seul homme, ou à une seule entreprise, de posséder plusieurs titres et veiller à ce qu’aucun monopole ne se reconstitue.

Sur la nationalisation des messageries de presse :

Le vaste programme de nationalisations commencé sous sa direction avait touché les secteurs de l’énergie, le gaz et l’électricité, les banques de dépôt et de crédit, les assurances, la Sécurité sociale, et la SNCF était demeurée compagnie nationale disposant d’un monopole pour assurer le transport des hommes et des marchandises. Les journaux circulaient essentiellement par cette voie, quoique des camionnettes automobiles et l’avion soient aussi utilisés. Il n’était donc pas inimaginable de songer à ajouter la fabrication et la distribution de la presse à ce dispositif. Léon Blum l’avait suggéré en 1928 et il ne passait pas pour un bolchevik rêvant de confier tous les moyens de production et de transport à la collectivité. Les résistants de toutes obédiences étaient parvenus à la même conclusion et ils avaient fait remonter à l’Assemblée préparatoire d’Alger puis au Gouvernement provisoire leur programme. Il s’agissait d’offrir à n’importe quel journal, quel que soit son tirage, des chances identiques d’atteindre le public. La liberté de l’information était considérée comme une priorité après cinq ans de dictature et d’étouffement de toutes les oppositions. Puisque le mensonge avait été distillé en permanence par les journaux de la collaboration, du Matin à Paris-Soir, en y incluant tant de titres régionaux bien peu regardants sur la question, il fallait donner les moyens à la presse libre de dire la vérité. Certes la vérité de Combat n’était pas nécessairement celle de l’Humanité, de Franc-Tireur, de Défense de la France devenu France-Soir, du Figaro ou de Libération, mais la confrontation des points de vue, des analyses et des propositions ne pouvait que nourrir un débat indispensable. Encore fallait-il que les journaux d’opinion, comme les autres, atteignent leurs lecteurs et que la distribution ne soit pas l’objet de manœuvres indélicates.

Sur Henri Filipacchi :

Cela fut vertement reproché à Henri Filipacchi en 1945 mais, comme il possédait la liste de tous ceux qui, dans les maisons d’édition parisiennes, avaient participé à la confection des listes Otto proscrivant les auteurs juifs, antifascistes et communistes, il fut maintenu à un poste de responsabilité à la Librairie Hachette, et c’est lui qui lança Le Livre de Poche en 1953.

Sur les « camps d’internement », en fait des camps de concentration :

Les mesures prises à l’encontre des étrangers fin 1938 seront confirmées un an plus tard et les premiers camps d’internement réservés aux antifascistes allemands et aux républicains espagnols fuyant la mort ou la prison11 seront ouverts dans le sud-ouest de la France avant la chute du régime. Même si les organisations caritatives se mobilisèrent contre ces pratiques indignes du pays qui avait rédigé la Déclaration des droits de l’homme, l’opinion ne réagit pas massivement pour empêcher une dérive qui annonçait un changement complet de politique si le PSF remportait les élections législatives un an plus tard. La guerre empêchera de confirmer ou d’infirmer ce pronostic mais, en l’absence d’une opposition communiste, soit désorganisée depuis l’interdiction du PCF, soit en prison, il n’y avait aucun espoir de voir l’expérience du Front populaire renouvelée.

Sur le terrain d’expériences journalistiques que fut la guerre d’Espagne :

La guerre d’Espagne avait également constitué une expérience importante en matière de désinformation, les partisans de la rébellion et du coup d’Etat se livrant à une intense propagande et accusant leurs ennemis de tous les crimes. A lire la presse qui soutenait les phalangistes et le général Franco, L’Action française, le quotidien de Charles Maurras et Léon Daudet, et Occident, le magazine de Jean-Pierre Maxence, d’Henri Béraud et de Pierre Drieu la Rochelle, on avait l’impression que les républicains passaient leur temps à violer les religieuses et à massacrer les curés. C’était oublier un peu vite les crimes commis par la droite catholique, bien encadrée par son clergé réactionnaire, ce qui devait amener l’écrivain Georges Bernanos à publier, en 1938, Les Grands Cimetières sous la lune dans le but de dénoncer le mensonge et la barbarie de son propre camp. Le livre récent de l’historien britannique Paul Preston, The Spanish Holocaust : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain éclaire d’une lueur sinistre le point de vue de l’écrivain et apporte des précisions terrifiantes sur le caractère planifié de la répression franquiste.

Sur le pragmatisme du PCF :

Même si, au dernier moment, le groupe parlementaire communiste ne vota pas ce texte, il avait fortement contribué à son élaboration et il déléguera ses représentants à la Commission de surveillance et de contrôle qui siégera au ministère de la Justice. Ils travailleront en parfaite harmonie avec leurs homologues des mouvements chrétiens, comme le reconnaîtront bien volontiers cinquante ans plus tard Raoul Dubois, dirigeant des Francs et Franches Camarades, et René Finkelstein, des Cœurs vaillants.

Du génie des slogans des années 1940 :

« Un contrôleur contrôle, un laboureur laboure, un trust trahit », titrait un des articles les plus sévères envers la direction des messageries Hachette, en relatant la vente des journaux nazis sur tout le territoire français et l’empressement à se porter au-devant des désirs de l’occupant.

De la « chambre nationale de la presse française » :

Présentant les grandes lignes de la législation qui pourrait trancher définitivement ce débat récurrent depuis quatre ans, le parlementaire MRP va insister, en mai, sur deux points essentiels : la création d’une Chambre nationale de la presse française, un ordre professionnel qui serait élu et jouirait d’une position morale privilégiée.