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Éric Hamelin, Olivier Razemon — La tentation du bitume : où s’arrêtera l’étalement urbain ?

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Passons sur les premières pages, en forme de nouvelle d’anticipation que l’on croirait écrite par un lycéen bouffi d’orgueil, et je parle d’expérience. Je ne suis décidément pas convaincu par la maquette des livres de poche de la Rue de l’échiquier, dont les apartés saucissonnent un texte déjà particulièrement décousu, comme en témoigne l’étrange dédoublement des chapitres. La tentation du bitume est un recueil de notes éparses sur l’urbanisme, une mosaïque impressionniste illustrant l’étalement urbain. Hamelin et Razemon donnent parfois l’impression de manier le couteau à beurre pour couper les steaks trop cuits servis dans ces grills qui flanquent les interminables départementales de la France périphérique.

Notes

Sur les dispositifs fiscaux censés favoriser la propriété individuelle, p. 71-72 :

Les contribuables qui cèdent aux sirènes de la réduction d’impôt subissent alors le discours formaté des commerciaux, qui les incitent à leur accorder une confiance aveugle, en d’autres termes, à investir le plus loin possible de chez eux. Un Strasbourgeois se verra proposer un « produit » à Montauban et un Marseillais à Saint-Brieuc. Il s’agit de dissuader les clients de se rendre sur place, de visiter leur bien, de s’assurer des revenus de leur locataire. Ne vous inquiétez pas, puisqu’on s’occupe de tout. Et tant pis si l’investissement locatif vise à équiper en logements pour étudiants une petite ville sans université. Faute de preneur, certaines habitations « Scellier » demeurent inoccupées, ce qui ne dispense pas leurs propriétaires de rembourser les traites. On a construit pour rien, au nom du logement, de la propriété individuelle et de l’économie d’impôts.

Tous ces acronymes existent, malheureusement, p. 83-84 :

25 janvier 2012 : réunion des PPA en vue de la modification du PLU (ex-POS) intégrant la ZAC « Grand Ouest » en présence de : DGS, DGA, DUAH, VP à l’urbanisme de la CUB, SG de la SPLA (SPL locale, ex-SEM, chargée de la ZAC), et DGS de la ComCom « Les Châteaux » (en tant qu’EPCI voisin et PPA), le DGS du CG 33 (PPA également), le DA de la DDT (ex-DDE, en tant que PPA, représentant le MEDDTL, ex-Medad) et enfin un chef de projet de l’A-Urba chargé du suivi du PLU (et accessoirement du Scot). Le DGS de la CUB évoque les enjeux du PLH, du PDU et du PCET de la CUB. L’A-Urba ajoute ceux du Scot. Le DGS du CG 33 rappelle également la contrainte des PCET régionaux et départementaux, ainsi que ceux du SDC. Il rappelle également la proposition du CG d’y cofinancer une ZA. L’A-Urba approuve l’idée, qui rentabiliserait un TSCP radial en BHNS, et rappelle que la ligne A du TSCP ferré est déjà financée par TBC. La SPLA rappelle que la ZAC devrait s’inscrire dans ces contraintes en respectant simplement le PLU communal, en principe conforme au Scot, au PDU, au PLH, au SDC, au PCET et même aux DTA quand elles existent. Le DGA de la DAUH ajoute que les objectifs BBC s’imposeront à tous les PC de la ZAC, afin d’appliquer la RT 2012, en conformité avec le PCET CUB récemment approuvé. L’ensemble des participants, conscient des enjeux et de la proximité du centre-ville, paraît ainsi s’accorder sur le principe d’une zone AU avec COS minimum. Cependant, la DA de la DDT, qui fut DA de l’ancienne DIREN, rappelle que le projet paraît, en l’état, incompatible avec le PPRI et le PPRT. Le DGS de l’EPCI voisin fait remarquer à son tour la présence d’une ZNIEFF de type 1 et d’un ENS. Il note aussi la présence d’une ZPPAUP (future AVAP) sur le tissu pavillonnaire proche et d’une ZPE autour du clocher de l’église, « ce qui complique les choses », ajoute-t-il d’un air entendu.

Le bagne périurbain, p. 101 :

Habiter une zone périurbaine, c’est se condamner à la mobilité perpétuelle, à devoir prendre sa voiture une fois, deux fois, cinq fois par jour. Pour faire une course, porter un objet à réparer, conduire un enfant quelque part, rendre visite à des amis, voire, tout simplement, pour aller en ville, pour le seul plaisir de conduire, de sortir de chez soi. Les emplois, la famille, les magasins, les établissements scolaires ou encore les administrations ne se situent pas dans le même quartier mais dans un rayon de 25 km. Presque tous ces trajets nécessitent une voiture par adulte, c’est-à-dire deux véhicules ou plus par foyer, sauf si l’on vit à proximité d’un moyen de transport public. Le petit supermarché n’est situé qu’à 15 minutes de marche de la maison, mais, à pied, le parcours ne présente aucun intérêt : des pavillons interchangeables et des impasses arborées, où l’on ne rencontre personne. À certains endroits, il faut même marcher sur la chaussée, entre le fossé et le flux de la circulation, quitte à passer pour fou aux yeux de ceux qui se meuvent en voiture. Le petit supermarché dispose d’un parking suffisamment grand pour faire face à l’afflux exceptionnel du samedi après-midi, mais reste presque vide les autres jours. Dès lors, pourquoi s’ennuierait-on à faire ce déplacement à pied ? Si ce magasin ne propose pas le produit que l’on recherche, on ira se le procurer ailleurs, à l’hypermarché, situé à à 10 minutes de voiture, 15 lorsque la route est embouteillée.

La « dénonciation de la ville étalée » comme nostalgie, p. 122-123 :

La dénonciation de la ville étalée se nourrit abondamment de la nostalgie pour les villes denses et compactes du début du XXe siècle, voire de la nostalgie tout court d’une époque révolue. Comme si, décidément, tout était mieux avant. Aurait-on perdu la mémoire de la vie que l’on menait, en France, avant la Première Guerre mondiale ? Les plus aisés habitaient dans une solide bâtisse au centre d’un bourg. La main-d’œuvre peu qualifiée, sans le sou, travaillant dur, s’entassait dans des bicoques mal chauffées, non insonorisées et dépourvues de sanitaires. On ignorait les véhicules motorisés, on s’approvisionnait au marché en produits de saison, mais pas toujours frais et jamais exotiques. On ne consommait certes pas plus que de raison, mais les plus pauvres ne mangeaient pas à leur faim. Des paysans menaient chaque semaine au marché des animaux vivants, qu’il fallait abattre soi-même. Ni le code-barres, ni le conteneur, ni le réfrigérateur, qui allaient contribuer à nourrir la grande majorité de la population, n’avaient encore été inventés. Les soirées étaient vouées, au mieux, à la lecture ou aux veillées auprès de l’âtre, et les rares vacances se déroulaient chez des connaissances, à quelques kilomètres de là. Il n’était envisageable d’emprunter le chemin de fer que lorsque les circonstances l’exigeaient absolument.

La banlieue comme village, p. 150 :

La banlieue assez proche des centres dispose d’atouts trop négligés. On y trouve des maisons mitoyennes pourvues ou non d’un petit jardin, des rues suffisamment denses pour que puissent s’y implanter des services publics, des artisans ou des détaillants. La densité de ces quartiers est beaucoup plus importante que celle de certains immeubles collectifs de plusieurs étages et entourés de parcs arborés vendus comme « résidentiels ». Les quartiers de Fives ou de Lomme, dans l’agglomération lilloise, fournissent de bons exemples de ce tissu urbain, tout comme l’essentiel des zones pavillonnaires de la petite couronne parisienne ou de la banlieue de Londres. À Bordeaux, on appelle « échoppes » » les petites maisons basses, initialement occupées par des artisans et aujourd’hui presque exclusivement dévolues à l’habitat. Certains urbanistes s’inspirent déjà de ces modèles pour créer une nouvelle génération de logements compacts avec jardin, qu’ils appellent « habitat intermédiaire ».