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Collectif — Champs Élysées : Histoire et perspectives

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Le Pavillon de l’Arsenal s’impose décidément comme l’une de mes institutions muséales favorites. Une conférence de presse et un rendez-vous m’ont permis de justifier un aller-retour à Paris pour visiter l’exposition « Champs-Élysées, histoire & perspectives », qui présente l’étude menée à l’initiative du Comité Champs-Élysées par le cabinet PCA Stream. En quelques heures, on voyage dans le temps en voyageant dans les cartes, cela met le tournis mais c’est enthousiasmant.

Le livre homonyme, qui n’est pas seulement un catalogue, comble les défauts d’une scénographie minimaliste. Les contributions sont fort inégales, la dernière partie consacrée aux perspectives n’étant rien d’autre qu’un concert ronflant de louanges autocongratulatoires, façon discours du préfet et du député qui donnent aux invités de monsieur le maire le temps de calculer la trajectoire la plus courte pour atteindre le buffet.

La première partie historique est d’autant plus d’intéressante que les Champs peuvent se remonter comme un fil d’Ariane, du Grand Palais qui suit l’obélisque de la Concorde jusqu’à l’entrée du RER qui file à la Défense, et le cœur de l’ouvrage est ponctuée d’interventions provocantes et stimulantes. Si vous comptez profiter de la prolongation pour visiter le Pavillon de l’Arsenal, vous auriez tort de rater ce bouquin, qui agrémentera joliment votre bibliothèque, pour ne rien gâcher.

Notes

Les Champs-Élysées, antithèse d’un jardin, p. 42 :

Le cas des Champs-Élysées est bien différent. Alors qu’il est aisé de reconnaître dans le Versailles d’aujourd’hui les strates de toute son histoire, les Champs-Élysées n’ont plus aucune ressemblance avec la création de Le Nôtre. Versailles était et demeure une utopie esthético-politique ; les Champs-Élysées sont devenus l’antithèse d’un jardin, une mutation monstrueuse de la vision de Le Nôtre, un paysage urbain dystopique dont le point de fuite ne révèle plus l’infini symbolique d’un Dieu et d’un Roi, mais l’arche de la Défense, symbole du quartier des affaires où pouvoir, image et technique sont articulés par le flux ininterrompu du capital international anonyme.

La ville-métabolisme comme troisième voie entre la smart city et le village décroissant :

La ville-métabolisme n’est pas une réponse monolithique, idéologique, mais une approche complexe, nécessairement variable, qui nécessite de conjuguer du prototypage, des itérations et doit savoir évoluer avec le contexte. À ce prix, elle permet d’offrir une alternative au tout technologique stérile de la smart city promue par les grands groupes numériques, mais aussi à la naïveté décroissante ou aux visions fantasmatiques du naturel. La ville-métabolisme répond aux enjeux urbains contemporains en s’appuyant sur une prise de conscience mais aussi par de nouvelles technologies et pratiques, en articulation avec un retour de la nature. Développée et testée sur le territoire des Champs-Élysées, comme démonstrateur d’une vision de la production de la ville s’appuyant sur l’excellence française, elle offre un panel d’alternatives métaboliques à l’hégémonie de la smart city. À ce titre, les Champs-Élysées, de par leur dimension iconique, sont le territoire idéal pour incarner un démonstrateur de l’excellence française pour la ville de demain en s’appuyant sur ses ressources, son histoire et ses savoir-faire.

Le bon vieil argument de l’individualisme généralisé, parce qu’il est évident que le tyran au volant d’un projectile métallique de 2 000 kilos qui occupe 9m2 d’espace public vaut parfaitement le tyran au guidon d’une planche motorisée de 10 kilos qui se replie dans un dixième de mètre cube d’espace privé, p. 152 :

Aujourd’hui ce serait plutôt l’Apple Store ce symbole du progrès redéfini sur les Champs-Élysées. La technologie automobile a été archaïsée par une forme de guerre culturelle, avec des fondements compréhensibles, la pollution notamment, qui sont indiscutables, mais on perd aussi de vue ce dont elle a été porteuse. D’une certaine façon une ancienne tyrannie a été remplacée par une tyrannie douce qui ne dit pas son nom, au sens où l’intolérance qu’on attribuait aux seuls automobilistes est en fait le propre des comportements individualistes, et la trottinette électrique en est le parangon, avec cette manie de la laisser n’importe où. On promeut un nouveau système de mobilités sur l’archaïsation des anciennes régulations mais si l’uberisation de tous les modes de transports en est la finalité, la ville va y perdre. Ce qu’on pensait faire disparaître avec l’automobile, les comportements hyper individuels et très égoistes, rejaillit avec des modes de transports moins lourds, mais d’une certaine façon pas moins polluants ni clivants dans l’espace public. C’est différent, ce n’est pas du CO2, mais la pollution visuelle ou la terreur des piétons sur les trottoirs restent des éléments importants. À certains égards il faut évoluer, mais si l’ancien règne de l’automobile est considéré comme négatif, polluant, il faut réfléchir à ce que l’on gagne avec le nouveau.

Quand le commerce va, tout va, p. 180 :

La dernière chose qui m’intéresse, c’est que les Champs-Élysées sont sans doute l’expression même de l’impasse dans laquelle nous a placés la systématisation de la logique de privatisation de l’espace urbain. Et je ne parle pas seulement des entreprises, ce serait trop simple, mais plutôt de l’idée que l’individu en tant que chaland, en tant qu’usager du commerce, est celui qui va décider in fine de la façon dont un espace doit être organisé et fonctionner. Le fait qu’on ait considéré que l’aménagement d’un espace devait pousser à satisfaire les besoins de l’individu consommateur est aussi une privatisation. Or ce qui est très étonnant dans les hyper-lieux, c’est que beaucoup d’individus sont là pour ça, mais aussi pour partager des expériences.

L’anthropocène comme crise de destination des images, p. 245 :

L’image elle-même se transforme, dans ce contexte de pollution qui est désormais le sien. Le pullulement des humains, des bâtiments, des routes et des navires s’accompagne d’une hyperproduction d’images : chaque jour des milliards de photos, stockées sur des appareils en cobalt, lithium, cuivre, carbone — que personne ou presque ne regarde. Il faut extraire des tonnes de minéraux pour porter les clichés d’aujourd’hui sur des écrans, nous creusons l’intérieur de la Terre afin de conserver l’image d’un monde qui disparaît.