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G. K. Chesterton — L’homme à la clef d’or

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Une traduction assez datée, parfois précieuse, presque trop… française. Je serais curieux de lire une traduction plus moderne et plus enlevée, mais je ne suis pas certain que l’on veuille encore traduire Chesterton en 2019. Quel dommage !

Notes

Probablement la meilleure manière d’écrire une biographie, p. 129 :

Quoi qu’il en soit, je n’ai pas besoin de dire que j’acceptai l’invitation à écrire un livre sur Browning. Je ne dirai pas que je l’écrivis ; mais j’écrivis un livre où il était question de l’amour, de la poésie, de la liberté, de mes vues personnelles sur Dieu et sur la religion (ce point-ci fort peu développé), et de diverses théories que j’avais concernant l’optimisme, le pessimisme, et sur ce que doit être le dernier espoir du monde ; un livre où le nom de Browning paraissait tout de même de temps en temps ; introduit, pourrais-je presque dire, avec une adresse remarquable, et tout au moins avec une apparence décente de périodicité. Il y avait dans ce livre très peu de faits proprement biographiques, et presque tous ceux qui s’y trouvaient étaient inexacts. Mais une chose y est enterrée quelque part ; je crains que ce soit plutôt ma propre enfance que la biographie de Browning.

« La plus facile de toutes les professions », p. 131 :

Holder Williams et moi parlâmes souvent littérature après ces conférences littéraires ; il en conçut l’idée, une idée fixe, que j’étais capable d’écrire ; illusion qu’il conserva jusqu’à sa mort. En conséquence, et en fonction de mes études prétendues artistiques, il me passa quelques livres d’art en me priant d’en rendre compte ; ces comptes-rendus étaient destinés à The Bookman, le célèbre périodique de sa maison, et de sa famille. Je n’ai pas besoin de dire que, ayant complètement échoué dans l’art d’apprendre à dessiner et à peindre, je fus très à l’aise pour me lancer dans des critiques sur les côtés faibles de Rubens, ou sur le talent mal dirigé du Tintoret. J’avais découvert la plus facile de toutes les professions ; j’ai continué depuis lors.

Londres ville-monde, p. 142 :

Je me promenais un jour par les rues de ce quartier de North Kensington, me racontant à moi-même des histoires féodales de sièges et d’assauts, à la manière de Walter Scott, et cherchant confusément à les adapter à ce désert de briques et de mortier qui m’entourait. Je sentais que Londres était déjà une chose trop grande et trop éparse pour être une cité, au sens de « citadelle ». À dire vrai, Londres me semblait plus grande et plus éparse que l’Empire britannique lui-même. De la manière la plus irrationnelle, quelque chose arrêta mon œil et charma mes regards tandis que je considérais un îlot réduit de petites boutiques mal éclairées. Je m’amusai à imaginer que ces boutiques seules devaient être protégées, défendues comme un hameau dans une région déserte. Je trouvai tout à fait drôle de les compter, et de me rendre compte qu’elles contenaient les éléments essentiels de la civilisation : une pharmacie, une librairie, un magasin de produits alimentaires, un débit de boissons.

« Je suis encore très capable d’être un glouton », p. 151 :

C’était avant le temps où tout le monde découvrit le quartier de Soho ; ces petits restaurants français n’étaient encore appréciés que de quelques gourmets, pour la raison que c’était encore des endroits où il était possible de manger. Je n’ai jamais été ce personnage raffiné qu’on appelle un gourmet ; je suis donc tout heureux de dire que je suis encore très capable d’être un glouton.

Le secret de la réussite dans le journalisme, p. 235 :

Dans l’ensemble, je crois que je dois ma réussite (pour parler comme les millionnaires) au fait d’avoir d’abord écouté respectueusement, voire timidement, le meilleur conseil ; celui qui me fut donné par les premiers des journalistes, c’est-à-dire par ceux qui avaient réussi, au meilleur sens du mot, dans le journalisme ; et puis de m’être éloigné et d’avoir fait exactement le contraire de ce qu’ils m’avaient conseillé. En effet : ce que tous m’avaient dit revenait à peu près à ceci : que le secret de la réussite dans le journalisme était d’étudier tout particulièrement tel journal et d’écrire pour lui ce qui lui convenait. Or, soit accident, soit ignorance, un peu aussi à cause de cette assurance et de cet entêtement qui sont le propre de la jeunesse, je ne puis me rappeler avoir jamais écrit un seul article qui convînt le moins du monde à aucun journal, quel qu’il fût.

« L’ambidextérité du paysan », p. 301 :

J’ai habité Beaconsfield depuis le jour où Beaconsfield était encore presque un village, et jusqu’au jour où, comme a dit son ennemi dans un propos diffamatoire, il est devenu presque un faubourg. Il serait plus vrai de dire que les deux états coexistent encore ; l’instinct populaire reconnaît bien cette dualité quand il parle, comme il fait couramment, de la vieille ville et de la ville neuve. J’ai caressé le projet d’écrire un ouvrage en plusieurs volumes, ouvrage sociologique et massif, qui aurait épuisé la matière, et que j’aurais intitulé : « Les deux barbiers de Beaconsfield ». Il reposait tout entier sur la conversation des deux citoyens chez qui j’allais me faire raser. Leurs deux boutiques appartiennent en effet à deux civilisations différentes. Le coiffeur de la ville neuve appartient au monde nouveau ; il a la méticuleuse propreté du spécialiste ; l’autre a ce que l’on pourrait appeler l’ambidextérité du paysan, rasant (si l’on peut dire) d’une main, tandis que, de l’autre, il empaille des écureuils ou vend du tabac.

De la guerre, p. 312 :

Ce qui est sorti de la Guerre, c’est nous-mêmes ; nous en sommes sortis vivants. L’Angleterre, l’Europe sont sorties de la Guerre avec tous leurs péchés empilés sur leurs têtes ; brouillées, corrompues, dégradées ; mais vivantes ; pas mortes. La seule guerre défendable est une guerre de défense. Et une guerre de défense, c’est, par définition, par sa nature même, une guerre dont un homme revient meurtri et saignant, et ne se vantant que d’une chose, c’est de n’être pas mort.

À propos d’« un Russe en uniforme », p. 319 :

Ce n’était pas un communiste ; mais c’était un utopiste ; et son utopie était de loin beaucoup plus folle que n’importe quel communisme. Sa proposition la plus concrète était celle-ci : que seuls les poètes devraient être appelés à gouverner le monde. (Il était poète lui-même, comme il nous l’expliqua très gravement.) Il fut assez courtois, assez flatteur pour me choisir, puisque j’étais poète aussi, comme gouverneur absolu, comme autocrate de l’Angleterre. D’Annunzio fut semblablement intronisé par lui comme gouverneur de l’Italie. Anatole France gouvernerait la France.

« Un air de migraine », p. 339 :

Que ce fut cela ou autre chose, ce don de fascination de Balfour était écossais ; sa fierté était écossaise ; et il y avait dans sa longue et belle tête, quelque chose de ravagé, un air de migraine voudrait-on dire, qui n’appartenait nullement aux seigneurs anglais ; et qui me faisait plutôt penser au presbytère qu’au château.

Le journaliste et le romancier, p. 370 :

Considérées en tant que contes (dans le sens d’anecdotes) mes histoires me semblent avoir eu une certaine nouveauté, avoir été assez personnelles ; mais, en tant que romans, non seulement elles ne furent pas aussi bonnes que ce qu’un vrai romancier en eût pu faire, mais même pas aussi bonnes que j’eusse pu les faire moi-même, si j’avais vraiment essayé d’être un romancier. Et parmi beaucoup de mauvaises raisons de n’avoir pas été capable d’être un romancier, il y a ce fait : que j’ai toujours été, que je serai probablement toujours un journaliste.

Sur Belloc, p. 374 :

Mais si je cite ici ce trait, c’est pour une raison particulière, en relation avec un autre trait par qui Belloc était, et est encore, un esprit à peu près unique en ce pays ; à la fois indigène et fortement transplanté et enraciné. J’ai déjà noté que bien connaître Belloc, c’est d’abord savoir qu’en tant qu’homme il est Anglais, et non Français. Mais son cas très curieux revêt un autre aspect : dans sa mesure où il est traditionaliste, c’est un traditionaliste anglais. Or, quand il était surtout un révolutionnaire, c’était dans le sens très exact de révolutionnaire français. On pourrait résumer la chose symboliquement en disant qu’il était un poète anglais, mais un soldat français.

La différence entre le voyageur et le touriste, p. 396 :

…Paris était la seule capitale étrangère que je connusse. C’est à mon père que je dois d’avoir au moins été un voyageur, et non point un touriste. Le distinguo n’est pas d’un snob ; en fait, il est plutôt la marque d’une époque que celle d’une éducation ; la moitié de tous les malentendus dont l’homme moderne est si souvent victime viennent de ce qu’on le forme à comprendre les langues étrangères, et à se méprendre sur l’étranger. Le voyageur voit ce qu’il voit ; le touriste voit ce qu’il est venu pour voir.

Jusqu’aux intelligences artificielles généralistes, au moins, p. 424 :

Nul Darwin n’est encore venu prétendre que les moteurs ont commencé par n’être que des fragments de métal, dont la plus grande partie avait été par hasard jetée au rebut ; ou que seules les voitures sur lesquelles un carburateur avait poussé par accident, avaient survécu à la lutte pour la vie dans Piccadilly.

« L’avantage mineur de l’absolution », p. 428 :

Il va sans dire que je sais que la pratique de la confession, après avoir été avilie au cours de trois ou quatre siècles et durant la plus grande partie de ma vie, a été maintenant tardivement restaurée. Les matérialistes scientifiques, toujours en retard sur le temps, ont restauré tout ce qui avait été avili en elle comme indécent ou introspectif. On m’a dit qu’une secte nouvelle a remis encore une fois en faveur la pratique propre aux monastères les plus primitifs, et traité la confession comme se pratiquant devant la communauté toute entière. Mais, contrairement à ce que faisaient les moines primitifs au désert, elle semble tirer une certaine satisfaction de pratiquer le rite en habit de soirée. Bref, je ne voudrais pas qu’on me crût ignorant du fait que le monde moderne, dans divers de ses groupements, est prêt maintenant à nous pourvoir des avantages de la Confession. Mais, à ma connaissance, aucun de ces groupes ne professe d’accorder l’avantage mineur de l’absolution.

Notes archivistiques

Contient carte postale des Belles Lettres.