Un petit livre avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, mais qui a le mérite d’apporter un diagnostic clair, de poser des questions pointues, et de proposer des pistes de résolution, sans jamais jeter l’opprobre ni verser dans l’invective. Un ouvrage intelligent, en somme, ce qui devient malheureusement trop rare.
Notes
Comment analyser la « percée » EELV :
On peine encore à mesurer combien cette volatilité peut contribuer à fausser la lecture des résultats des scrutins, tant par les commentateurs que par les partis. Ainsi, le scrutin des européennes de 2019 a été analysé comme une « percée » d’EELV, le plaçant, de fait, au centre des débats à gauche, notamment dans la perspective du scrutin municipal de l’année suivante. Pourtant, dix ans plus tôt, EELV récoltait déjà 2,8 millions de voix en France contre 3 millions en 2019. Or, entre-temps, le nombre total de votants passait de 17 à 23 millions. En valeur absolue, on peine à voir la « percée » spectaculaire… D’autant plus qu’il convient de rappeler qu’un an après les européennes de 2009 EELV perdait 500 000 voix aux régionales de 2010, avant de recueillir seulement 800 000 voix à la présidentielle de 2012 avec sa candidate Eva Joly. Ces élections, aux natures très différentes, illustrent l’ampleur de la volatilité électorale. Elle tend à démontrer que les électeurs répondent de plus en plus à la question posée – l’enjeu d’une présidentielle n’est pas le même qu’une élection municipale ou européenne… Or, cette situation est déstabilisante pour les partis politiques traditionnels, puisque les électeurs votent non plus pour la « marque » partisane elle-même mais pour sa capacité à incarner une réponse appropriée à la question posée…
« L’égoïsme n’empêche pas d’être rationnel » :
Derrière cette question du confinement, c’est donc une interrogation sur l’articulation entre intérêt individuel et collectif qui se posait d’une manière, sinon nouvelle, du moins plus grave que d’habitude. En effet, nous avons eu la démonstration à travers cette mesure privative de liberté que dans nos sociétés il est difficile d’accepter, à titre individuel, des sacrifices au nom de l’intérêt général. C’est pourtant le propre de la citoyenneté que de savoir s’imposer cette discipline. Ce qui est étonnant, c’est que ce sens du sacrifice individuel au nom du collectif soit moins important chez les plus diplômés, que l’on tient souvent pour les « piliers » de la démocratie face à la montée des populismes. Paradoxe qui n’est qu’apparent puisque l’égoïsme n’empêche pas d’être rationnel ou, du moins, raisonnable dans ses choix de vote. Pour autant, il mérite d’être souligné et interrogé.
La fragmentation du peuple, un phénomème dont j’ai déjà beaucoup parlé :
Le drame de la période actuelle est que face aux forces de dispersion et de désagrégation de la communauté nationale que représentent les identités nouvelles ou « tribus », nul ne semble plus savoir comment créer du « nous » sans recourir à l’artifice de l’essentialisation et de la désignation d’adversaires ou de boucs émissaires.
Effacer les différences, c’est affaiblir la démocratie :
Pourtant, bien souvent, on s’attarde à souligner l’ampleur des fossés qui séparent les générations, les groupes politiques, les religions ou encore les classes sociales sans se poser une question pourtant essentielle et première : en quoi la différence fragilise-t-elle la démocratie ? Il y a, en effet, des différences saines pour la démocratie, qui nourrissent le débat et permettent l’élaboration de compromis par la confrontation d’idées et la conciliation d’intérêts socio-économiques divergents. Et il y a les divisions « irréconciliables », celles qui n’ont pas vocation à être résolues et ne devraient pas être « négociées ».
La culture ludique comme culture antidémocratique, une réflexion provocante mais intrigante :
Contrairement à ce que l’on entend souvent, le problème majeur du gaming n’est pas le degré de violence auquel il expose les enfants et adolescents, c’est la culture qu’il produit et qui est en tout point opposée à la culture et aux valeurs que suppose l’apprentissage de la citoyenneté.
Le séparatisme numérique :
Or, ce que nous appelons le « séparatisme numérique » s’avère potentiellement beaucoup plus problématique pour nos démocraties que le séparatisme social ; non seulement il en est le pendant virtuel, mais il échappe aujourd’hui en grande part au contrôle de l’État, ce dernier ayant bien souvent renoncé à transposer dans l’espace virtuel toute la prétention à réguler et contrôler qui est encore la sienne dans l’espace physique de la vie économique et sociale. L’État peut reconfigurer la fiscalité, pour peu qu’une majorité le souhaite – comme nous l’avons évoqué plus haut. Mais, quand bien même prendrait-il conscience des risques inhérents au séparatisme numérique, il n’est pas dit qu’il ait la souveraineté et la capacité régulatrice suffisantes pour faire face à un défi systémique et à des GAFAM tout-puissants.