J’avais mes doutes sur les travaux de Wendy Mackay, j’ai maintenant des doutes sur le format de la leçon inaugurale. La leçon inaugurale a toujours été une machine à comprimer des années de réflexion en soixante minutes de présentation, et cette compression ne peut aller sans perte. Mais c’est devenu un « moment » pour le Collège de France et l’intervenant, un évènement publicitaire plus encore qu’un évènement universitaire, objet d’un intense battage médiatique1. La leçon inaugurale n’est (heureusement) pas une conférence TED, mais n’est plus l’assurance d’une conférence de haute volée.

« Enseigner la recherche en train de se faire » n’est toujours pas toujours facile, les meilleurs chercheurs ne sont pas toujours les meilleurs enseignants. Wendy Mackay livre une présentation générale (et fort parcellaire) de son domaine, étrangement entrecoupée par une présentation spécifique (et fort détaillée) d’une partie de ses recherches. À ma grande surprise, elle ignore — voire rejette activement — l’apport des sciences humaines et sociales, qui ne me semblent pas tout à fait inutiles pour comprendre nos interactions avec le monde numérique. Étrange.

Notes

Ignorer l’apport fondamental des sciences humaines et sociales me semble fort peu perspicace, surtout dans une leçon donnée à quelques centaines de mètres d’une université qui sait manier les chiffres et les lettres à merveille :

En tant que discipline de recherche, l’informatique tire ses racines de trois champs de recherche : l’ingénierie, les mathématiques et les sciences appliquées.
— p. 12

Moins encore quand, quelques pages plus tard, Mackay décrit… les fondamentaux des SHS :

Sur la base de cette analyse, pouvons-nous considérer l’informatique en général et l’interaction humain-machine en particulier comme des sciences naturelles ? Eh bien, non. Le problème est que l’informatique et l’interaction impliquent la création d’artefacts fabriqués par l’être humaine qui ne peuvent être considérés comme des « phénomènes naturels et observables de manière indépendante ». Au lieu de cela, nous créons les artefacts que nous étudions changent constamment et la relation entre eux est co-adaptative, c’est-à-dire que les utilisateurs humains ne se contentent pas de s’adapter à la technologie ou de l’apprendre, ils l’adaptent activement ou la personnalisent à leurs propres fins.
— p. 30

Tout s’explique :

Du point de vue de la conception, le défi de la recherche en interaction humain-machine est d’augmenter les capacités humaines en fournissant une plus grande puissance d’expression, tout en maintenant la simplicité d’expression. Mais faire simple, c’est compliqué !
— p. 39

  1. Susceptible de faire vendre quelques centaines de livres à 12 €. Douze euros. Pour 80 pages. Il n’y a pas de petits profits, même pour une institution gratuite. ↩︎