Aurais-je été plus indulgent avec Liv Maria si je n’avais pas lu 39 rue de Berne dans la foulée ? Alors que Julia Kerninon ballote son héroïne d’un continent à l’autre sans ménagement, Max Lobe fait écrire Dipita depuis sa cellule de la prison de Champ-Dollon. Alors que le portrait de Liv Maria est seulement esquissé, les entrailles du jeune homme sont révélées radiographiquement.

Max Lobe fait chanter une langue française enrichie de tournures camerounaises et de termes bassas, au point d’atténuer la dureté des thèmes abordés, de l’immigration clandestine à l’homosexualité refoulée en passant par la prostitution. Mais après tout, « on rit […] parce que dans le rire se cache peut-être un peu d’espoir ». Ce conte bantou, à moins qu’il ne s’agisse d’une fable genevoise, se résout dans un éclat d’espoir.

Notes

Le parfait condensé de la prose de Lobe, p. 121-122 :

Je veux lui dire que je suis toujours son Dipita, son garçon sage à qui il peut livrer le secret de sa banque sans un sou ; je suis le garçon qui ne laisse pas fuir un seul secret de son ventre au travers d’un rot. Je veux lui dire que je ne pleure pas, que je ne pleure même jamais. Ce sera un mensonge, oui, mais ce genre de mensonge-là est permis. C’est maman qui m’a appris ça quand j’étais son chargé de communication. Je dirai donc à tonton que moi, je ne pleure jamais, même si du reste je suis devenu comme ça comme il n’aurait jamais voulu que je sois. Je me souviens encore bien-bien de ses mots. Ils résonnent toujours là à mes oreilles : « Mon fils, ne sois jamais comme ces hommes blancs qui pleurent comme des femmes ou qui font des mauvaises choses avec des hommes comme eux. » Je pense très souvent à ces mots si forts, à ces recommandations si claires que j’ai quand même fini par transgresser. Chaque fois que j’y pense, c’est comme si j’avais un camion de douleur dans mon ventre. J’aurais tout donné pour enlever ça de ma peau, afin de plaire à mon oncle.