À mesure que les produits de Braun quittent le domaine de l’électromécanique pour entrer dans celui de l’électronique, les propositions de Dieter Rams sont de moins en moins convaincantes. Rams n’est pas seulement un formidable organisateur de l’information dans l’espace, un talent qui trouve sa plus belle expression dans le programme d’étagères 606 toujours commercialisé par Vitsœ. C’est un créateur d’expériences sensibles — le clic du bouton de lecture d’une platine vinyle, la couleur de l’aiguille d’un réveil qui répond à celle du bouton de l’alarme, la vague de son qui monte d’un hautparleur négligemment posé à même le sol, le ferme moelleux d’un accoudoir, le jeu d’ombres et de lumières qui définissent une courbe, le poids d’un rasoir et l’équilibre d’un sèche-cheveu dans la main.

Que reste-t-il de ces expériences lorsque les boutons ne cliquent plus, que les aiguilles disparaissent, que le métal et le bois laissent place au plastique ? Comment le designer peut-il être pleinement responsable de produits fabriqués à l’autre bout du monde, avec des pièces conçues par des fournisseurs qui n’ont d’autre passion que l’économie, et dont les spécifications peuvent changer à la dernière minute pour répondre aux besoins des machines-outils qui façonnent le monde à leur image ?

Les dernières pages sont d’une tristesse absolue : les prix laissent place aux mentions « not released for sale », le savoir-faire industriel et technologique quitte l’Allemagne, l’efficacité vantée par Gillette prend le pas sur les convictions de Braun. L’ouvrage de Klaus Klemp peut aussi se lire comme la chronique d’un échec. Braun n’est plus qu’une coquille vide qui loue sa marque au plus offrant, d’autres dominent le monde en appliquant les principes de Rams mieux que Rams lui-même. Gutes Design ist gutes Geschäft, il faut croire.