La quatrième de couverture promettait « le portrait éblouissant d’une femme » qui a connu « mille vies ». La quatrième de couverture, comme souvent, décrit un autre livre. Le portrait reste dans l’ombre : Julia Kerninon traite son héroïne comme les bagagistes traitent les valises, l’envoie à Berlin dans un contresens narratif incompréhensible, puis au Chili dans une succession d’ellipses trainantes, et finalement en Irlande dans un rebondissement prévisible.

La fille se renie pour devenir femme, la femme se renie pour devenir mère, le lecteur doit renier son incrédulité pour déceler les moments de beauté crue qui empêchent de lâcher Liv Maria. Kerninon esquisse quatre épisodes, mais cela ne fait pas la toile de mille vies. Liv Maria reprend la route, sans que l’on sache vraiment ce qu’elle abandonne en chemin, Liv Maria touche à sa fin, sans que l’on sache quand la nouvelle deviendra un roman.

Notes

« Je n’avais encore jamais touché une tête aussi dure », p. 61 :

Sur l’île, son corps avait été un corps pour la pêche, pour la nage, pour faire face au froid, pour sentir le vent – un corps qui tenait bon, pas un corps qu’on tenait dans ses bras. Elle n’avait jamais envisagé de le confier à quiconque, c’était son corps à elle, elle en avait besoin pour toutes sortes de choses. Un ostéopathe que sa mère avait fait venir un jour du continent pour la guérir d’une sinusite carabinée lui avait dit, sincèrement stupéfait en la manipulant, Je n’avais encore jamais touché une tête aussi dure, et elle avait rougi de fierté. C’était exactement comme ça qu’elle se voyait et qu’elle se voulait.

J’ai lu, donc j’ai le droit d’écrire, semble dire Kerninon, p. 171 :

Elle avait Ibsen. Elle avait Shakespeare. Elle avait Henry James, Tolstoï, Tchekhov, Nabokov, Gogol, Twain, Hamsun, Thomas Hardy, Robert Frost, Balzac, Rilke. Elle avait plusieurs éditions des poèmes de Dickinson. Elle avait La Montagne magique et Les Buddenbrook. Elle avait Homère et Charlotte Brontë et Toni Morrison. Elle avait Delmore Schwartz – Comme les fausses vérités des années de la jeunesse ont disparu ! / Ont disparu à toute vitesse comme des trains qui ne s’arrêtaient jamais ! Là où je me tenais et attendais –, elle avait Dylan Thomas – Faites-le savoir aux enfants, aux vieillards sur le seuil : / Les pleurs de départ sont des mensonges, / Les propos sur les morts sont des mensonges. / Faites-le savoir aux enfants. Il n’y a pas de retour. Elle avait Gertrude Stein, Fernando Pessoa, Raymond Carver. Elle avait Walt Whitman. Elle avait Joan Didion. Elle avait Robert Graves, Flaubert, Chaucer, Dante, La vie nouvelle, Le Banquet, La Divine Comédie, Enfer, Purgatoire, Paradis, elle avait James…

Enfin, vous avez compris l’idée.