Avec Les leçons du pouvoir, François Hollande ne tire pas… les leçons du pouvoir. Malgré quelques timides mea culpa, l’ancien président reste droit dans ses bottes, et parvient à justifier des épisodes aussi honteux que la déchéance de nationalité. Disons que c’est de bonne guerre — et puis quelques passages éclairent le quinquennat écoulé.
Notes
Sur les institutions de la Ve République :
Faut-il présidentialiser définitivement la Ve République ? C’est la logique du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral. Je n’ignore rien des interrogations qu’un tel changement institutionnel suscite. Car il tranche le nœud gordien selon la lumineuse formule de Georges Pompidou. Notre Constitution n’est plus parlementaire depuis que le chef de l’État est élu au suffrage universel mais elle n’est pas non plus présidentielle, dès lors que le Premier ministre est responsable devant l’Assemblée nationale. Comment comprendre que le véritable chef de l’exécutif ne puisse s’adresser à elle, sauf circonstances exceptionnelles ? Il n’est plus possible de rester au milieu du gué. Ce n’est ni favorable aux droits du Parlement ni efficace pour la bonne marche de l’exécutif. C’est une source de confusion pour les citoyens sans présenter le moindre avantage pour l’action. S’il y a une révision constitutionnelle à mener, c’est celle-là.
Sur l’efficacité pénible de la démocratie :
Rappelons-nous l’histoire récente : au XXe siècle les démocraties, malgré les tragédies sans nom, ont abattu le nazisme et le fascisme, ont triomphé du communisme totalitaire et de la plupart des régimes autoritaires. On critique parfois leur pusillanimité, leur lenteur à réagir aux agressions. C’est leur résilience et leur capacité à répliquer aux attaques qui dominent. Appuyées sur l’attachement des peuples à la liberté, les démocraties gagnent les guerres. C’est la leçon du siècle dernier ; ce sera celle du siècle qui commence.
Sur le programme :
Ainsi, le jour même de mon entrée en fonction, je dois trancher un dilemme majeur qui orientera tout le quinquennat : repousser les efforts à plus tard, pour répondre à l’impatience de notre électorat pour qui « le changement c’est maintenant » ; ou bien mettre en œuvre le sérieux budgétaire, c’est-à-dire procéder à des augmentations d’impôts conjuguées à une maîtrise des dépenses publiques. Ces mesures ne nous assurent pas de réussir mais elles nous prémunissent contre un échec certain. À vrai dire, j’ai déjà mon idée. Je l’ai formulée dès le discours du Bourget. Le désordre européen est trop périlleux pour que la France ne prenne pas les mesures nécessaires, fussent-elles difficiles. Nous mangerons d’abord notre pain noir. Une fois le redressement accompli, nous procéderons aux redistributions attendues. Encore faut-il que la zone euro se rétablisse à temps pour que les ajustements du début du quinquennat produisent leurs effets après deux ou trois ans. Ce plan, chacun le constate de bonne foi aujourd’hui, a fonctionné. Depuis le début de 2015 la France a vu sa production retrouver ses couleurs, la croissance repartir lentement, portée par l’investissement, et la courbe du chômage finalement s’inverser. La reprise est venue. Mais tard pour le pays et, subsidiairement, pour moi. Je ne me plains pas que ces fruits péniblement acquis, ce soit Emmanuel Macron qui les récolte. C’est le lot de la responsabilité. D’une certaine façon, un président prend en charge le bilan de son prédécesseur et travaille inlassablement pour son successeur.
Sur la presse :
J’avais tout simplement conscience que dans la crise de confiance qui secouait notre démocratie la presse souffre elle aussi. Économiquement, par la concurrence du tout gratuit et moralement, par l’équivalence établie entre les informations et les rumeurs. Les intermédiaires ne sont pas des adversaires du pouvoir. Ils n’en sont pas davantage les agents. Ils sont des garants.
Sur sa décision de ne pas solliciter un second mandat :
Je m’efforce d’analyser la situation avec lucidité. À ce moment Emmanuel Macron a déjà déclaré sa candidature, Jean-Luc Mélenchon aussi. C’est la certitude pour la gauche d’être éliminée dès le premier tour si j’y vais aussi. Ainsi le second tour, selon toutes les enquêtes d’opinion, mettra aux prises François Fillon, au nom d’une droite animée par une volonté de revanche, et Marine Le Pen, forte des suffrages que son parti a déjà recueillis dans tous les scrutins intermédiaires. Un second désastre civique nous menace, encore plus douloureux que celui du 21 avril 2002 quand Lionel Jospin a été dépassé de quelques voix par Jean-Marie Le Pen. La gauche se retrouvera rayée de la carte politique au profit d’une droite dure et d’une droite extrême. Minoritaire dans le pays, François Fillon recevra un blanc-seing pour mener la politique régressive qui fait le fond de son programme. Quelle que soit la confiance dans ma capacité à faire campagne, la certitude qui m’habite que mon bilan est un socle sur lequel il sera possible de construire, je juge en conscience que je ne suis pas en droit de faire courir ce risque au pays. Je prends donc la parole à la télévision pour annoncer que je renonce à solliciter un deuxième mandat auprès des Français.
Un éclair de lucidité :
De la même manière, ma victoire de mai 2012 sanctionne l’échec de mon prédécesseur bien plus qu’elle ne consacre un élan en faveur des valeurs de solidarité. Certes la finance est regardée comme la principale responsable du chômage qui se répand dans tous les pays développés à mesure que les peuples sont appelés au sacrifice. Mais l’idée s’est installée que l’endettement est né des largesses budgétaires des États et des politiques sociales dispendieuses susceptibles de mettre en cause l’avenir des nouvelles générations.
Le dernier chapitre, sur l’idéologie de la social-démocratie, montre la finesse de l’analyse politique de François Hollande. Au point d’espérer une suite… et de désespérer que le président n’ait pas mis en œuvre le programme du commentateur. Sur le désaccord européen qui traverse la gauche :
Ils bâtirent ainsi une union fondée sur la coopération économique à défaut de trouver l’harmonie politique. Les socialistes soutinrent ce projet quand la droite française parut un moment s’en détacher et quand les communistes dénonçaient toute l’entreprise. François Mitterrand fut l’homme de ce choix. Il avait refondé le PS sur cette base et il y resta fermement arrimé, quoi qu’il lui en ait coûté sur le plan du respect de son programme de 1981. Il pensait que la France avait plus à perdre en s’écartant de l’Europe que le socialisme en y restant fidèle. La création de la monnaie unique, l’acceptation d’un grand marché fondé sur la libre circulation, le respect de la concurrence et la politique commerciale commune étaient aussi leur œuvre. Autant de transferts de souveraineté qui privaient l’État régulateur d’une partie de ses attributions. Fut-ce la faute originelle, celle qui empêchait à jamais les socialistes de conduire une politique différente ? De là est venue en tout cas la scission au sein de la gauche : bien plus de la contestation de l’Europe que des divergences sur la place du secteur public ou sur le niveau des prélèvements obligatoires.
Sur la « gauche radicale » des frondeurs et de Jean-Luc Mélenchon :
Avec la gauche radicale d’aujourd’hui, il n’y a rien. Ni modèle ni construction. Pas même une idéologie. Seulement des discours, des incantations, des invectives. Avec cette gauche-là, si tant est qu’elle reste de gauche, les conservateurs comme les libéraux n’ont rien à craindre. Ils ne sont pas la première cible. C’est la social-démocratie qui est visée. C’est elle la généreuse, la sérieuse, la laborieuse qui doit disparaître. C’est elle qu’il faut empêcher, arrêter et même anéantir. L’obliger à se soumettre et à perdre toute crédibilité ou bien la renvoyer à des coalitions centristes où elle serait reléguée ainsi à des tâches subalternes pour être mieux accusée de collaboration et de compromission. Voilà le projet. Il est funeste. Ce n’est pas la mort lente de la social-démocratie, c’est la disparition assurée de la gauche. Ainsi le socialisme risque-t-il peu à peu de s’effacer, englué dans une Europe où il pèse de moins en moins, condamné par une radicalité qui s’est emparée de la longue histoire de l’insoumission pour la vider cyniquement de son sang.
Sur le libéralisme de l’individualisme :
Le débat politique s’est surtout déplacé sur un autre terrain où la sécurité est de moins en moins sociale et de plus en plus personnelle et où l’identité n’est plus liée à une classe mais à un territoire, à une appartenance, voire à une religion. Le socialisme avait pensé unifier les peuples en leur proposant un modèle fondé sur le juste partage et voilà que c’était l’idée même de la solidarité qui devenait de plus en plus contestée.
Sur le programme de la social-démocratie :
Au point qu’on la somme de choisir entre deux mauvaises solutions. Soit une stratégie de retour vers les classes populaires en dénonçant l’Europe et la mondialisation, en épousant les réflexes identitaires, dans l’espoir de reconstituer un bloc sociologique. Soit une démarche d’agrégation des minorités en rendant solidaires des groupes qui n’ont à première vue rien en commun sinon la frustration de ne pas être suffisamment reconnus pour ce qu’ils sont. Ces deux options sont à la fois illusoires et dangereuses. Elles opposent le social et le sociétal alors même que la gauche les a toujours associés. Elles ruinent la prétention de la social-démocratie à construire une alliance majoritaire pour gouverner durablement. Elles conduisent l’une et l’autre au repli, dans la sphère nationale ou dans l’univers privé, écartant toute dynamique de conquête. Et surtout, elles entretiennent le caractère irréconciliable des électorats au sein de la gauche en assignant les citoyens à leur étroite appartenance, au lieu où ils vivent, à leur âge, leur origine ou leur religion. Les sociétés occidentales se sont considérablement individualisées. Elles n’obéiront plus à des logiques de classe appuyées sur des intérêts mais à des solidarités de réseaux fondées sur des aspirations. Des thèmes nouveaux ont émergé : l’écologie, le rapport aux technologies, l’égalité entre les sexes. D’autres se sont réaffirmés avec le défi de l’immigration et la peur du communautarisme. Les clivages classiques se sont effacés sans faire disparaître le débat entre la gauche et la droite. À cela s’ajoute le discrédit des partis, l’abaissement du Parlement, la technocratisation des choix, l’indifférence civique. Tout cela s’est manifesté de façon éclatante pendant l’élection de 2017.
Sur la laïcité :
Les socialistes, il y a un siècle, ont défini la laïcité. Ils sont les mieux placés pour défendre la liberté et la dignité face au communautarisme et à l’ethnicisme.
Sur le revenu minimum universel :
Plus féconde me paraît l’idée de procurer un capital de départ, sous une forme financière au début de la vie active, puis par le biais de droits à la formation tout au long de l’existence. […] Ainsi l’État-providence de simple fournisseur de prestations ou d’allocations devient un cadre offrant au citoyen la capacité de surmonter les ruptures d’une vie économique que l’on sait plus mouvante, plus incertaine et plus fractionnée. Cette conception concilie efficacité et justice, individu et collectivité.
Sur les transformations technologiques et les transformations du travail :
Comme lors des importantes ruptures technologiques des emplois émergeront, d’autres disparaîtront. C’est cette mutation que les progressistes doivent être capables d’organiser par des mécanismes de formation, de requalification et de mobilité professionnelle et géographique. La société de la connaissance qui a longtemps été liée à l’espérance portée par l’école républicaine devient un projet collectif susceptible de convaincre une large majorité de nos concitoyens qui sont hors d’état de se « débrouiller tout seul » face à cette transformation.
Sur le socialisme du futur :
Le socialisme, c’est l’alliance de la science et de la solidarité, de l’industrie et de l’écologie, de la technologie et du partage. C’est l’équilibre entre l’initiative privée et l’action collective.