Notes

Le pouvoir de la réputation, p. 53 :

La réputation de posséder un pouvoir est un pouvoir : car on s’attache grâce à elle ceux qui ont besoin de protection.

L’« inefficacité » des sciences, p. 54 :

Les sciences constituent un faible pouvoir, parce qu’elles n’existent pas chez n’importe quoi à un degré éminent, et qu’en conséquence elles ne sont pas reconnues (elles sont même entièrement inexistantes, sauf chez un petit nombre, et chez ceux-ci à propos d’un petit nombre de choses). En effet, la science est d’une nature telle, que nul ne peut se rendre compte qu’elle existe, s’il ne l’a lui-même acquise dans une large mesure.

Liberté et sécurité, un siècle plus tôt, p. 66 :

Le désir de commodité et de volupté sensuelle dispose les hommes à obéir à un pouvoir commun : de tels désirs en effet conduisent à renoncer à la protection qu’on pourrait attendre de sa propre activité et de sa propre peine. La crainte de la mort et des blessures y dipose aussi, et pour la même raison.

Un esprit incorporel, par définition, n’existe pas, p. 80-81 :

Aussi ceux qui par leur propre méditation en arrivent à confesser un Dieu infini, tout-puissant et éternel, préfèrent-ils reconnaître qu’il est incompréhensible et qu’il dépasse leur entendement, plutôt que de définir sa nature par les termes d’« esprit incorporel », pour avouer ensuite que leur définition est inintelligible. Ou bien, s’ils lui donnent un tel titre, ce n’est pas dogmatiquement, dans l’intention de faire comprendre ce qu’est la nature divine, mais pieusement, pour l’honorer, par des qualifications aussi éloignées que possible, par leur signification, de la grossièreté des corps visibles.

La défaveur des prêtres, p. 90 :

Je peux donc attribuer tous les changements de religion de ce monde à une seule et même cause, à savoir, à la défaveur encourue par les prêtres ; et ceci non seulement chez les catholiques, mais même au sein de cette Église où l’on se pique le plus d’avoir opéré une réforme.

L’état de nature est un état de guerre, p. 96 :

C’est pourquoi toutes les conséquences d’un temps de guerre où chacun est l’ennemi de chacun, se retrouvent aussi en un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle dont les munissent leur propre force ou leur propre ingéniosité. Dans un tel état, il n’y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n’en est pas assuré : et conséquemment il ne s’y trouve ni agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par mer ; pas de constructions commodes ; pas d’appareils capables de mouvoir et d’enlever les choses qui pour ce faire exigent beaucoup de force ; pas de connaissances de la face de la terre ; pas de computation du temps ; pas d’arts ; pas de lettres ; pas de société ; et ce qui est le pire de tout, la crainte et le risque continuels d’une mort violente ; la vie de l’homme est alors solitaire, besogneuse, pénible, quasi animale, et brève.

De la philosophie morale, p. 140-141 :

La science de ces lois est la vraie et la seule philosophie morale. En effet, la philosophie morale n’est rien d’autre que la science de ce qui est bon et mauvais dans le commerce et la société des hommes. « Bon » et « mauvais » sont des appellations qui expriment nos appétits et nos aversions, lesquels diffèrent avec les tempéraments, les coutumes et les doctrines des gens. Et des hommes divers ne diffèrent pas seulement de jugement à propos des sensations fournies parce qui plaît ou déplaît au goût, à l’odorat, à l’ouïe, au toucher et à la vue, mais aussi à propos de ce qui est conforme à la raison ou incompatible avec elle dans les actions de la vie courante. Plus, le même homme, pris en des moments divers, diffère de lui-même. En un temps, il loue (c’est-à-dire qu’il déclare bon) ce qu’en un autre il blâme et déclare mauvais. De là surgissent des discussions, des disputes, et finalement la guerre. L’on reste donc dans l’état de simple nature, qui est un état de guerre, aussi longtemps que l’appétit personnel est la mesure du bien et du mal. En conséquence, tous s’entendent sur ce point que la paix est bonne et que par suite tout ce qui y mène et en est le moyen, c’est-à-dire, comme je l’ai montré plus haut, la justice, la gratitude, la mesure, l’équité, la pitié, et les autres lois de nature, sont des choses bonnes ; autrement dit, des vertus morales ; que leurs opposés sont des choses mauvaises, des vices. Or la science de la vertu et du vice est la philosophie morale ; la vraie théorie des lois de nature est donc la vraie philosophie morale.

Visage et déguisement, p. 143 :

Le mot de personne est latin. À sa place, les Grecs sont πρόσωπον, qui désigne le « visage », alors que persona, en latin, désigne le « déguisement », l’« apparence extérieure » d’un homme, imités sur la scène ; et parfois, plus précisément, la partie du déguisement qui recouvre le visage : le masque. De la scène, le mot est passé à tout homme qui donne en représentations ses paroles et ses actions, au tribunal aussi bien qu’au théâtre. Personne est donc l’équivalent d’acteur, tant à la scène que dans la vie courante ; et personnifier, c’est « jouer le rôle », ou « assurer la représentation », de soi-même ou d’autrui […].

Le centre de la démonstration hobbesienne, p. 147 :

Une multitude d’hommes devient une seule personne quand ces hommes sont représentés par un seul homme ou une seule personne, de telle sorte que cela se fasse avec le consentement de chaque individu singulier de cette multitude. Car c’est l’unité de celui qui représente, non l’unité du représenté, qui rend une la personne. Et c’est celui qui représente qui assume la personnalité, et il n’en assume qu’une seule. On ne saurait concevoir l’unité dans une multitude, sous une autre forme.

La constitution de la République, p. 158-159 :

La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que, par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : « j’autorise cette homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière ». Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une RÉPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt, pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.

S’« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes », on ne peut le faire qu’en obéissant aux hommes, p. 162-163 :

Et encore que quelques-uns aient allégué pour couvrir leur désobéissance au souverain, une nouvelle convention, passé non pas avec les hommes, mais avec Dieu, ceci également est injuste : il n’y a pas en effet de convention passée avec Dieu, si ce n’est par la médiation de quelqu’un qui représente la personne de Dieu, et nul n’est dans ce cas, si ce n’est le lieutenant de Dieu, qui exerce sous lui la souveraineté. Mais cette allégation d’une convention passée avec Dieu est un mensonge si manifeste, même devant la conscience de ceux qui y recourent, qu’elle est le fait d’une disposition non seulement injuste, mais aussi méprisable et dégradante.

Le stylo s’appuie sur l’épée, p. 165 :

[…] les conventions, n’étant que paroles et souffle, n’ont pour obliger, contenir, contraindre, ou protéger, aucun autre force que celles qu’elles tiennent du glaive public, c’est-à-dire des mains non entravées de cet homme ou assemblée d’hommes qui détient la souveraineté, et dont les actions sont ratifiées par tous, et exécutées par la vigueur de tous, unis dans le souverain.

De la théorie à la pratique, p. 177 :

Car la nature a pourvu les hommes de remarquables verres grossissants, qui sont leurs passions et leur amour d’eux-mêmes, et à travers lesquels toutes les petites contributions semblent de grands préjudices ; mais il leur manque les lunettes d’approche que sont les sciences morales et politiques qui leur permettraient de voir de loin les misères qui sont suspendues au-dessus de leur tête, et qui ne sauraient être évitées sans de telles contributions.