Un écrivain « à gauche de la gauche » peut-il être réactionnaire ? Je suppose que, passé un certain âge, cela devient inévitable. Le vrai rade parisien, la vraie librairie parisienne, les vrais toits parisiens, le vrai tabac parisien, le vrai écrivain parisien, les vraies rues parisiennes, et même les vrais mendiants parisiens… Le tumulte de Paris décrit moins une ville qu’une collection d’emblèmes censés la composer.
La démarche d’Éric Hazan peut sembler paradoxale : tout en dénonçant ceux qui voudraient vitrifier Paris, il fixe des images qu’il convient bien de qualifier de clichés. Le paradoxe se résout aisément : le vieil écrivain gauchiste a en horreur Anne Hidalgo et tous ceux qui, à gauche comme à droite, prétendent accélérer le rythme de la transformation de la capitale. Une fois n’est pas coutume, Hazan se fait le chantre du laisse-faire. Même les plus radicaux tombent amoureux…
Notes
C’était mieux avant, p. 15 :
« Paris n’est plus ce qu’il était », oui et heureusement, il bouge, il évolue sans cesse comme un organisme vivant dont certaines parties s’atrophient tandis que d’autres prolifèrent.
Une bonne librairie, une grande librairie, p. 37 :
Il est facile de repérer une bonne boulangerie ou un bon marchand de vélos, mais une bonne librairie ? On pourrait penser que c’est celle où les chances sont les plus élevées de trouver le livre qu’on cherche. C’est un peu vrai mais pas tout à fait car c’est faire un amalgame et même une confusion entre bonne et grande librairie, celle qui a beaucoup de place, beaucoup de fonds, beaucoup de titres, mais qui n’est pas forcément bonne. On pourrait même dire que la taille n’est pour rien dans l’affaire. Ce qui fait la qualité d’une librairie se décèle dès la vitrine. Si elle donne un sentiment de cohérence, s’il y a une logique claire dans le choix, entrez, c’est une bonne librairie. Celui ou celle qui a composé cette vitrine a su créer un réseau entre les auteurs, entre les titres, un réseau mental qui vaut bien tous les réseaux sociaux.
Sur le zinc, p. 55 :
Car ce qui définit un vrai, c’est l’existence d’un comptoir. Les établissements qui en sont dépourvus — qu’ils n’en aient jamais eu ou pire, qu’ils l’aient supprimé — peuvent prétendre au nom de café mais ne le méritent pas. Au Café de la Paix place de l’Opéra, Chez Francis à l’Alma ou aux Deux-Magots place Saint-Germain-des-Prés, on peut bien commander un café mais l’absence de comptoir (comme le style des serveurs) rend impossible toute confusion avec un authentique café parisien.
L’écrivain parisien comme « piéton de Paris », p. 89 :
Ainsi donc Hugo était un piéton de Paris — ce n’est pas l’image la plus commune qu’on en ait, qui serait plutôt celle du solitaire sur son rocher. Mais ceci amène à un trait commun aux écrivains parisiens, presque digne de faire partie de la définition : ce sont des marcheurs dans Paris, et des marcheurs solitaires — c’est pourquoi Proust n’est pas, à mon sens, un écrivain parisien, malgré sa fine oreille aux bruits de Paris. Balzac, lui, parcourt toute la ville avec ses grosses bottes, entre ses imprimeurs, ses éditeurs, ses maîtresses, ses marchands de café. » Il y a pour moi des souvenirs à toutes les portes, des pensées à chaque réverbère, il ne s’est pas construit une façade, abattu un édifice, que je n’en aie épié la naissance ou la mort, je participe au mouvement immense de ce monde comme si j’en avais l’âme (in Le Mendiant).