Un couple d’amis nous avait invités à diner sans savoir que nous serions surpris par la neige. (Je ne serais pas contre un peu de neige, là, maintenant, tout de suite. Vous ne me prendrez plus à pester à la vue des premiers flocons, pour autant que l’on revoie un jour des flocons entre Saône et Rhône.) Pour nous réchauffer, lui et moi avions fini les restes des bouteilles de whisky, tandis qu’elles avaient débouché une bouteille de champagne. J’ai oublié l’entrée et le dessert, l’une suivie et l’autre précédé d’un coup de rouge, mais je garde un souvenir vivace de la double ration de gratin dauphinois avec ses saucisses de Montbéliard. La famille Martin est comme ces festins qui restent sur l’estomac, mais en pire, parce que ce n’était même pas agréable sur le moment. Au mieux, cela m’a fait l’effet d’une platée défraichie de cèleri rémoulade.

Notes

Le surréalisme de comptoir, je suppose que ça doit exciter la « persona » de ménagère de moins de cinquante ans fantasmée par les commerciaux à l’œil lubrique et à la cravate trop serrée, p. 96 :

On pourrait associer chaque événement de notre vie à une tonalité liquide ; il y a des moments citron pressé et des moments vodka cerise. Ce matin par exemple, je me sentais assez excité par mon projet, une ambiance totalement jus de papaye.

N’est pas Cercas qui veut, p. 98 :

En rentrant chez moi à pied, j’ai repensé à la richesse de tous les éléments que j’avais récoltés. Un peu plus tôt dans la journée, après avoir pensé à Six personnages en quête d’auteur, j’avais retrouvé la pièce de Pirandello dans ma bibliothèque. En la parcourant, j’étais tombé sur cette phrase : « La vie est pleine d’absurdités qui peuvent avoir l’effronterie de ne pas paraitre vraisemblables. Savez-vous pourquoi ? Parce que ces absurdités sont vraies. » Ainsi, le vrai paraît souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.

C’est sûr, j’ai beaucoup bâillé, p. 128-129 :

Je me souviens d’un journaliste qui avait écrit à propos du premier de mes romans à avoir touché un large public : « Ce livre marche car il contient tous les ingrédients du succès ! » Quelle étrange phrase. Si je connaissais les ingrédients du succès, j’aurais utilisé la formule bien plus tôt. Et je me serais ainsi épargné toutes ces années à faire des petits boulots en parallèle de l’écriture. Et s’il existait des ingrédients du succès, tout le monde pourrait en produire à loisir. C’était absurde. On ne sait jamais vraiment ce qui plaira. En lisant les lignes que je suis en train d’écrire, certains lecteurs seront peut-être captivés lorsque d’autres bâilleront d’ennui. Cela n’est pas ma priorité. Si j’éprouve un souci réel du lecteur, ce qui m’anime avant tout est d’être dans un rapport obsessionnel à mon sujet.