Malgré les coups de ciseaux de Gordon Lish, la nouvelle éponyme conserve un certain charme, probablement parce que Raymond Carver se permet de tricoter sa pelote narrative pendant une quinzaine de pages. L’art de la nouvelle est un art de la brièveté, bien sûr, mais Carver semble plus enclin à couper le fil qu’à le dénouer, comme s’il s’ennuyait de lui-même après une demi-douzaine de pages.

Notre époque est-elle plus désabusée et plus insensible que la sienne ? Son affabulation de la violence n’a plus rien d’une fable, il est bien difficile d’être frappé par une pierre sur la tête ou choqué par une main baladeuse quand chacun (et surtout chacune) vit ces histoires au quotidien. Les nouvelles de Carver sont moins insidieuses et plus supportables que les nouvelles télévisées.

La juxtaposition détend le ressort narratif : quand l’imprévu est prévisible, le choc des dernières lignes importe moins que le rebondissement des premières pages, la vitesse de la conclusion importe moins que le rythme du développement. What We Talk About When We Talk About Love peut alors se lire comme une leçon — une leçon riche dans son dépouillement, une leçon drôle dans sa cruelle honnêteté, mais rien de plus rébarbatif qu’une leçon.

Une leçon que les auteurs des innombrables What We Talk About When We Talk About Something n’ont malheureusement pas (tous) retenue.